C’est l’été. Le temps des vacances et de la légèreté. Le peuple a besoin de se détendre, d’oublier les peines de l’hiver et les difficultés d’une année de labeur. Il préfère l’insouciance, les belles histoires qui font rêver, comme celle du royal baby qui a ému la Grande Bretagne. A défaut, des feuilletons aux rebondissements nombreux et heureux, ou des histoires drôles, de l’humour, beaucoup d’humour. Il ne faut surtout pas prétendre aborder les sujets sérieux, ceux qui sapent le moral ou qui risquent d’altérer la bonne humeur ambiante.
Ce changement est entré dans les mœurs. Les télévisions changent leurs grilles, pour adopter des programmes plus adaptés. Détendre le spectateur est leur priorité. Le journaliste de la presse écrite est, quant à lui, sommé d’oublier les articles rébarbatifs, de laisser pour la rentrée les indigestes analyses économiques, et d’accompagner son lecteur dans la douce euphorie de l’été. Et quand l’été est doublé du Ramadhan, le chroniqueur se trouve soumis à une nouvelle contrainte. Ne jamais forcer son lecteur à faire un effort, à réfléchir, à se concentrer. Il lui faut des « papiers » qu’on lit comme on mangerait un bout de pastèque : il n’est même pas nécessaire de mâcher, ça passe tout seul.
Dans un climat pareil, il est mal venu de parler de la maladie du président Abdelaziz Bouteflika. Dès qu’on évoque le sujet, il y a comme un malaise, lié à la fois au côté humain de l’affaire, et à ses conséquences politiques. De n’importe quelle manière qu’on aborde la question, la gêne s’installe. Ça navigue entre le pathétique et le ridicule. Entre la déchéance institutionnelle et le mensonge.Entre l’échec consommé et l’incertitude du lendemain. Non, c’est un sujet qu’il faut à tout prix éviter.
L’Egypte non plus ne fournit pas non plus un sujet adéquat. Certes, ce qui se passe au pays des pharaons ressemble à un feuilleton égyptien, avec ses drames, ses lueurs d’espoir, ses personnages controversés, ses manipulations et ses mensonges. Mais il y a trop de sang. Il y a trop de morts. Avec l’incertitude qui entoure l’avenir de cet immense pays, il est difficile de faire de la situation en Egypte un sujet de vacances. Trop lourd, trop indigeste.
Il n’y a même pas eu la traditionnelle flambée des prix du Ramadhan, qui offre chaque année un sujet intarissable. Avec la courgette à vingt dinars et la tomate à moins de cinquante dinars, il n’y a pas de quoi se mettre colère pour pester contre le gouvernement et son incompétence, ses fausses promesses et son incapacité à agir.
Non, décidément, la politique et l’économie n’offrent pas de sujet intéressant, pour meubler les longues heures de l’été algérien. Et c’est dans cette situation très délicate que surgitun sujet qui réunit tous les ingrédients nécessaires pour l’été. C’est un feuilleton interminable, avec de multiples rebondissements, des trahisons à toutes les étapes, des fausses promesses, de fausses déclarations d’amour, des engagements qu’on a déjà reniés avant même de les avoir prix. Un feuilleton où les couples se font et se défont au gré de la conjoncture, où la fidélité dure cinq minutes, et où la parole donnée a la même valeur qu’un dollar chez Amar Ghoul. Et puis, c’est un sujet léger, avec des personnages pittoresques, hauts en couleur, à la limite du loufoque. Avec eux, on est certain qu’à défaut de sauver l’Algérie, le FLN va sauver notre été.
Ce feuilleton, c’est donc celui du FLN. Le bureau politique, qui a comploté contre Abdelaziz Belkhadem, après avoir comploté contre Ali Benflis et bien d’autres dirigeants, a accusé son « coordinateur » du moment, Abdelrrahmane Belayat, de comploter pour nommer ses copains et proches dans les structures du parti. Selon les nouveaux adversaires de M. Belayat, celui-ci voudrait verrouiller les structures du parti pour être en position de force lorsque sonnera l’heure d’appuyer le futur candidat à la présidentielle.
Evidemment, il est hors de question pour le FLN d’avoir son candidat, issu de ses structures, désigné par son congrès, pour défendre son programme. Le FLN parait d’ailleurs perdu. Il ne sait pas quoi faire. Doit-il désigner un nouveau secrétaire général ou non ? Aura-t-il un candidat aux prochaines présidentielles, et dans ce cas, celui-ci sera-t-il élu, ou bien jouera-t-il le lièvre seulement ? Personne n’est en mesure de répondre. En l’absence de directives venues d’en haut, le FLN est déboussolé, car devenu pavlovien.Il soutient instinctivement le candidat du pouvoir. Son seul souhait, c’est d’animer la scène. De faire le spectacle. Là, il sait faire. Il sait si bien faire qu’en ces temps de légèreté et d’insouciance, il peut avoir un rôle très important. Car après tout, quand on va au spectacle, on veut voir des clowns et des saltimbanques, pas des hommes politiques et des producteurs d’idées.
25 juillet 2013
Abed Charef