Parce que pour nous faire rire, l’ENTV nous a habitués à rire de nous, nous grimaçons d’elle. Le casting du populo-bachetarzi-ENTV est connu depuis les premières années de l’indépendance: la goinfrerie, la cupidité, l’alimentation générale, la pénurie, l’exode rurale et la soumission comme solution.
Pour les figures, on les connaît (subis) tous: le jeune homme débile et insolent qui ne remercie pas suffisamment les martyrs et les aînés, le mari fonctionnaire qui geint (vicelard au bureau), la femme à la cuisine qui crie sans cesse depuis son mariage, le vieillard qui donne leçon et sert de DVD nostalgie, le commerçant voleur et fourbe, le paysan perdu dans la ville et l’urbanité et le nouveau riche illégitime (qui veut répudier sa femme), voleur de sueurs et sans «principes». On mélange le tout selon les «régions», les accents et le moralisme politico-socialiste d’autrefois et on sert à l’heure du ftour. Cela donne des sketchs malsains, détestables, «pédagogiques» et névrosés. Un rire ENTV, pour résumer. La tendance se perpétue même, comme un moule, dans les décors des nouvelles chaînes «privées» algériennes. Comme une sorte de canevas obligatoire. Du sillon Bachtarzi, rares sont ceux qui osent l’audace. Et pour cette année, il fallait saluer la prouesse, presque cathartique de «Journan El Gosto» d’El Jazaïria. Pour une fois, on rit. De l’essentiel, tous ensemble: du «politique» grand sujet du collectif algérien, au box-office clandestin depuis le congrès de la Soummam. On rit sans méchanceté ni exclusion des accents de nos régions plurielles (Kabylie, Oranie, Chaouis, etc.), on rit des figures politiques interdites d’accès à la dérision sauf dans la marge, on rit de l’actualité et des figures et les légendes de notre «Pouvoir bien-aimé». Les réalisateurs de ces cycles de sketchs ne savent peut-être pas qu’ils ont, pour une fois, réconcilié les Algériens avec la dérision: elle n’est plus une arme contre soi mais un moyen de surmonter le réel et d’en faire allié de sa vision, pas le sujet de son malaise. L’actualité politique est «ouverte» à l’image et l’image parle de ce que l’on dit entre nous, dans les confins de notre nationalité. Cela est raconté en algérien, dans la pluralité de nos langues et pas sous la langue morte de l’ENTV. L’immeuble, son «toit», regroupe toute l’Algérie et casse le tabou de ses «régionalismes» par l’acceptation de ses régions. Sur ce «toit» d’immeuble, on est tous Algériens, dans le miracle de l’humour qui brasse jusqu’à l’actualité internationale.Au plus secret, pour une fois, ce sont «nous qui parlons», pas le pouvoir et c’est entre nous et cela nous faire rire.
Pour une fois, on rit du Pouvoir et ce n’est pas lui qui se rit de nous.
25 juillet 2013
Kamel Daoud