Mais le vrai sujet est celui de l’émotivité : nous sommes un peuple émotif. L’émotion soude et rend aveugle, unanime et myope et admirable. Pour le cas d’In Aménas, le chant de gloire à l’armée a été presque unanime et bien «travaillé» : il fallait intervenir. Oui. Et, du coup, face à la menace, les Algériens, énormément d’Algériens, ont préféré se serrer contre leur armée. Mais très vite, cette émotion a servi à ce que servent les émotions collectives chez nous : insulter ceux qui ne pensent pas comme nous et se crever les yeux sur les évidences. On oublie que In Aménas n’est pas seulement une opération militaire réussie. C’est aussi, en amont, un échec des renseignements, un échec de la sécurité, une diplomatie assise, des déclarations risibles de quelques ministres qui disent une chose et son contraire, un isolationnisme mal géré, une impunité qui se profile avec un pouvoir qui ne rend pas compte de ses actes, de ses gens et de ses nominations, une mauvaise communication et surtout une gouvernance démodée du Sud.
Qu’on arrête, donc un peu, avec ce post-11 Aménas de l’émotion primaire : les évidences sont là : une bonne opération militaire ne doit pas servir à cacher les incompétences et les incompétents. Le patriotisme est un sentiment sain et honorable mais cela ne doit pas servir à la vente concomitante des anciens souks el- Fellah. J’aime mon pays mais je n’aime pas ceux qui s’en servent comme bouclier. J’aime l’armée qui me défend mais je n’aime pas ceux qui s’en servent pour me prendre en otage. J’aime ma terre et pas seulement son pétrole comme certains gens de ce régime. J’aime crier mon indépendance mais je n’aime pas que ce pouvoir soit indépendant de ma volonté. J’aime méditer le geste de Lahmar Mohamed Amine, sa photo de chômeur algérien même quand il a un travail, son humilité passive, sa banalité même, et je n’aime pas qu’on lui préfère l’inauguration d’un robinet. Pensant à user d’un faux, je pense même écrire à sa famille des condoléances signées «Le Président de la république», non pas parce que je suis Président, mais parce que c’est une chose qui aurait dû être faite, il y a des jours.
25 juillet 2013
Kamel Daoud