Il est 22 heures passé de quelques minutes, le siège flambant neuf du journal » Liberté » dans l’attente de Rachid Benaissa, ministre de l’Agriculture et du développement rural est inondé de lumière. Le ministre et ses proches collaborateurs font leur entrée à 22h 30. Sans préambule, l’animateur lance sa première question qui consistait à savoir, qu’elle a été la contribution de l’Algérie à la 38 è session du Fonds onusien (FAO) pour l’Alimentation et l’Agriculture tenue à Rome. L’invité du jour, préféra revenir en arrière pour mieux situer, la consécration du notre pays dans ce forum mondial.
Je préfère dira-t-il, rappeler une fois encore, les différentes étapes que nous avons franchies pour aboutir aux résultats que tout le monde s’accorde à qualifier de concluants. La politique du renouveau agricole et rural, a, aujourd’hui, 4 années et 5 mois d’âge. La conférence nationale de Biskra en a été le chapiteau et la réaffirmation d’une volonté affichée par la plus haute instance institutionnelle du pays, en la personne du Président de la république. Cette politique en droite ligne avec la réconciliation nationale, avait pour corollaires majeurs : Réconciliation avec soi-même d’abord, ensuite avec ses territoires d’évolution. L’adage opposé aux défaitistes étant : » Il n’y pas de territoires sans avenir, mais seulement des territoires sans projets « . A partir de ce postulat, tout était possible. Ces étapes, faut-il le rappeler ne sont pas accomplies sans difficultés. Il fallait vaincre, d’abord, les préjugés qui sont souvent érigés en force d’inertie. Rappelons-nous ces anciens ruraux citadinisés, qui en parlant de leurs proches restés au » Bled « , se morfondent dans une posture souvent empreinte de pitié pour le sort peu enviable des leurs. La conceptualisation et les multiples testages ont été déroulés de 2002 à 2009 et ce n’est qu’au terme de 2009 que le processus est réellement lancé. Les concepts, pas tous nouveaux, sont souvent puisés dans la culture sociale du terroir, tel » Arfig kbal Etrrig « . (Il faut choisir son compagnon avant de prendre la route). C’est là où le concept d’accompagnement trouvera sa plénitude, notamment dans le soutien financier. Cette ruralité qui touche plus de 40 % de la population, ne doit pas rester sur le quai du développement qu’on veut être durable. Celui-ci ne doit ignorer aucune parcelle du territoire national et se faire sans exclusive. Il doit lutter contre la rupture sociale induite par une décennie de turbulences sanglantes et ses répercussions socio économiques et socio humaines. Il n’y aura pas d’agriculture sans monde rural stable et serein. On peut à ce titre, imager le pré requis en comparant l’espace rural à l’océan et le fait agricole au poisson qui doit s’y nourrir.
Si le vocable » rural », renvoyait, il y a peu, à précarité et marginalisation, il s’est enfin débarrassé de cette connotation péjorative, il devient : espoir et potentialités humaines.
C’est ainsi que le Projet de proximité de développement rural intégré (PPDRI), soutenu par un didacticiel et des référentiels, comporte dans ses multiples volets de mise en œuvre aussi bien les facteurs humain que réglementaire avec les outils nécessaires à son exécution.
Son principal angle d’attaque est la décentralisation construite dans une dynamique intégrée de bas en haut. L’injonction verticale a, heureusement, fait long feu. L’intersectorialité requise pour la mise en œuvre a connu quelques déboires, dus principalement à la non assimilation du processus synergique de tous les acteurs ministériels. Il s’est trouvé, un moment que seuls, les départements de l’Agriculture et des Collectivités locales réagissaient sur le terrain. Rejoints vite, par les Ressources en eau et la Solidarité, ces départements fédèrent leurs efforts dans un axe directeur comprenant 4 paliers : Modernisation des centres à forte ruralité- Diversification des activités- Protection des ressources naturelles et Préservation des patrimoines matériel et immatériel. Une population estimée à 7.000.000 d’individus est concernée par le processus du développement intégré. Il est évident que le seul logement rural qui est déjà à près de 500.000 unités réalisées ne se suffira pour occuper des espaces; sans route, ni électricité, sans école ni dispensaire, encore moins sans activité économique viable. Le PPDRI n’a pas été rapidement digéré partout. Là où la société civile est ataviquement vivace, tels que les » Djemaa » de Kabylie ou celles de certains ksour sahariens, la démarche vite assimilée a produit des effets immédiats. Là où le tissu social est plus ou moins décousu, un patient travail est entrain de s’opérer avec l’aide des associations (5000), notamment celle de la femme rurale qui ont compris l’enjeu. L’objectif institutionnel de l’implication de tous les acteurs est l’obtention d’une sérénité durable du monde rural. Ce long processus confié aux services des Forets, pour la simple et bonne raison de leur dense implantation dans les 48 circonscriptions territoriales a fait renâcler plus d’un de ce prestigieux corps. Ancrés dans de vieux réflexe de préservation d’un certain patrimoine, il ne venait pas à l’esprit de quelques cadres du secteur de participer à la promotion d’un monde où, le seul arbre n’en constitue pas l’unique préoccupation. Le milieu de celui-ci, doit être pris en compte aussi bien dans la survivance des essences florales que dans la protection des bassins versants que des écosystèmes. Depuis lors, bien des choses ont changé dans la perception des enjeux.
Dès 2009, la dimension économique et au vu de l’état de maturation des objectifs intermédiaires, devient évidente dans ce qu’on appellera, désormais : Renouveau agricole. Fallait-il se contenter de la mise en place d’un processus presque virtuel, encore vulnérable et sous les coups de boutoir réguliers des attentistes ou lui assurer plus de chance de survie. La pierre d’achoppement qui a toujours caractérisé le fait agricole a été de tout temps, le foncier agricole. Ce rocher de Sisyphe devait être pris à bras le corps et écarter du chemin de croix du cultivateur. En prélude à la loi portant organisation du foncier de 2010, des voix qui nous voulaient du bien se sont élevées pour dire péremptoirement : » Attention, ce dossier est éminemment explosif. Il peut mener à la guerre civile ! « . La bombe à retardement n’a explosé à la figure de personne, c’est ainsi que la concession du domaine privé de l’Etat sur 40 ans renouvelable et hypothécable a semé l’espoir chez plus d’un million d’exploitants privés. Cette » aventure » heureuse n’a été permise que sur l’évidente nature juridique du terrain agricole que beaucoup considèrent comme propriété exclusive de l’Etat. L’acte agricole a été de tout, le fait de particulier. L’Etat, en fait, ne détient que 148 fermes de statut public.
Ce sont ces particuliers, agro-industriels, éleveurs et cultivateurs qui sont les véritables créateurs de richesse, la terrasse du bâtiment du Bd Amirouche ne contient pas un seul pouce de terre arable. (Allusion au siège du Ministère de l’Agriculture). L’hypothèque des terres permettra de contracter des crédits auprès de la BADR par convention et dont les intérêts sont intégralement pris en charge pour les prêts de campagne ou » Ettahadi « .
Les 3 dimensions -Renouveau agricole- Développement rural et développement des capacités humaines- ainsi cernées, on constate que la carte agricole est entrain d’évoluer avec une énorme marge de progrès. L’archaïsme longtemps observé dans le monde agro-pasteur est entrain de subir sa mue par la demande de connaissances. Près de 400.000 exploitants agricoles ont émis le vœu de se faire accompagner techniquement.
Les promotions d’agronomes et dont les horizons étaient rendus opaques par l’indisponibilité du foncier, renouent avec l’espoir. Répondant à deux ou trois questionnement de l’assistance, Rachid Benaissa, comme un poisson de l’eau, s’est délecté pendant près de deux heures en parlant d’un secteur dont il dit qu’il le connait bien pour y avoir passé les 2 /3 de sa vie. Convainquant dans le propos, il n’avance que peu de chiffres sauf, quelques ratios pour étayer le débat, il nous fait aimer un secteur qui a toujours été le réceptacle de la résistance à l’occupation coloniale, des frondes contre l’iniquité sociale et le berceau de l’authenticité nationale.
A l’ultime question de Lahri sur les conclusions de la récente réunion de Rome sur la sécurité alimentaire, le ministre de l’Agriculture dit en substance ceci : » Ce regroupement planétaire a décerné des distinctions aux pays qui ont atteint les objectifs du millénaire pour lutter contre la faim et la malnutrition. Notre pays en faisait partie pour avoir atteint ces objectifs bien avant 2015, date butoir. Comment peut-on construire, un système alimentaire durable ? Il se dégage à ce titre 4 axes majeurs de travail : Améliorer la production agricole- Protéger les ressources naturelles des dégradations- instituer des systèmes de régulation- favoriser l’accès à une alimentation saine et sans exclusive. Tous les gouvernements son tenus de veiller à la disponibilité de produits sains. Notre retard en matière de technologie agricole a, été salvateur pour la qualité de nos produits qui restent, tout de même, de meilleure qualité soit par la saveur ou par l’apport nutritionnel. S’il est indéniable, que les intrants améliorent les rendements, un effort de formation devra être consenti en direction des utilisateurs de produits phytosanitaires. S’il faille apprécier le niveau nutritionnel de la population, il y a lieu de revenir à certains indicateurs que l’Organisation Mondiale de la Santé préconise, entre autre la moyenne journalière en calorie dont un corps normalement constitué a besoin et qui est de 3500 à 4000 kilocalories. Si à l’indépendance, ce ratio était à 1750 kca /jour/habitant, il est passé à 3500/jour/habitant en 2012, alors que la population a quadruplé entre-temps. C’est, quand même, révélateur d’un mieux être nutritionnel. Ahmed Lahri qui est, principalement, agronome et accessoirement journaliste n’a pas manqué de lancer une dernière banderille à l’orateur : » Que pensez-vous M. le ministre sur l’accusation portée à l’encontre de l’OAIC (Office algérien interprofessionnel des céréales) qui ne semble s’approvisionner que chez les même fournisseurs français ? » -
- » Cette histoire, vieille de plus de 20 ans, ne peut avoir de ma part qu’une réponse technique. Effectivement, j’ai posé la même question, il y bien longtemps. Il se trouve que le cahier des charges des années 80 n’a pas bien évolué en dépit de son amendement en 2009. Nos habitudes alimentaires vont immanquablement vers la farine panifiable française qui fait la fameuse baguette. Sommes- nous, au jour, d’aujourd’hui, disposés à nous approvisionner en Mer noire comme les Égyptiens pour nous accommoder à leur » Raghif » ? Sommes- nous capables d’abandonner toutes nos capacités installées, notamment les fours, les façonneuses et autre matériel de boulangerie ? Sommes- nous, aussi, capables de changer nos mœurs alimentaires ? Il m’est arrivé, une fois déjà de suggérer le pain d’orge, qui est un pain complet à tout point de vue, malheureusement, la réaction outrée ne s’es pas faite attendre et dès le lendemain on disait : » Benaissa nous prend pour des bourrins, il veut nous faire manger de l’orge ! « . Minuit passé, l’assistance quittait la salle pour un autre rendez vous qui ne manquera, certainement, pas de lever le voile sur un autre secteur que nous ne connaissons que peu.
25 juillet 2013
Farouk Zahi