C’est un cercle qui encercle: les chômeurs encerclent les travailleurs de Sonatrach. Parce qu’ils pensent que Sonatrach ne veut pas d’eux, prend leur argent et leur pétrole, recrute selon le sang et pas le CV. Sauf qu’au centre, les travailleurs de Sonatrach encerclent aussi leur Direction.
Ils pensent qu’elle les vole, les paye mal, moins que le tiers d’un Philippin assis. Puis c’est le peuple, travailleur, assis, Ansej ou pas, qui encercle le pays, veut plus, veut le manger, le traire, l’essorer. Puis le pays qui encercle les désespérés, ne veut pas les laisser partir, refaire leur nationalité ou leur vie. Puis les gens du FLN qui encerclent les martyrs de la guerre. Veulent qu’ils signent une pétition de soutien pour une aile du FLN ou sa cuisse. Puis l’armée. Elle encercle le politique, les cellules de Belmokhtar, la légitimité. Puis le désert qui encercle l’armée. Lui-même encerclé par l’OTAN, El Qaïda ou les drones ou les troubles. Puis les «Services» supposés être le cercle du cercle qui encercle tout le monde. Une sorte d’anneau de Tolkien pour les gouverner tous. Sauf que même les «Services» sont encerclés. Par les autres «Services», par les nouvelles fortunes, par le temps, par le vieillissement ou, dans le pire des scénarios, par le peuple. En cercle dans une place publique sous forme de cercle qui crie. Puis ? Internet. L’encerclement le plus ample du monde. Le plus vague aussi. Le moins défini mais aussi le plus libre d’agrandir son rayon ou de le réduire. Puis les frontières algériennes. On ne sait plus si elles délimitent le pays ou l’enferment.
Puis, c’est selon. Le cercle d’Alger pris dans le cercle d’Oujda. Le cercle des civils mangé par le cercle du MALG. Le cercle des islamistes qui veulent encercler le monde par la fin du monde. L’Arabie Saoudite qui encercle vos croyances avec son argent. Les plus jeunes qui sont encerclés, en Algérie, par les plus vieux. Dans une sorte de géométrie affolante et absurde. Car si on va de cercle en cercle, en Algérie, de salons en réseau, il faut aboutir à un centre. Une sorte de point nodal d’où tout se lance ou se concentre. Il n’existe pas. Il n’y pas de dictateur en Algérie mais il y a une sorte de dictature. Molle mais suspicieuse et paranoïaque. Elle ne se solidifie qu’aux grands moments de panique mais ne se dissout presque jamais dans la démocratie. Liée au pétrole ou au soutien de l’Occident. Au centre il y a Bouteflika mais on sait que ce n’est pas Bouteflika. Il se sent encerclé mais quand on le regarde, on ne sait plus s’il est de face ou de dos. Ici ou en Suisse. Et nous ne savons pas où nous sommes nous-mêmes : 62 ? 82 ? Et on ne sait pas où se trouve le pays : au bout du chemin ? A l’époque où il y avait un chemin ? Tout le monde encercle tout le monde.
Et on le sait : le premier qui se rendra est mort. Et sera mangé. L’Algérie est un rapport de force.
24 juillet 2013
Kamel Daoud