Elle est une offrande divine. Un hommage à la vie. Claire et limpide, elle devait se la couler douce et de source comme une source naturelle. Hélas, l’homme, ce bipède troglodyte, cet insatiable persistant, ce souillleur d’innocence n’a eu de cure au cours de l’écoulement chronologique qu’à en faire une denrée à portée de robinet. Cette matière si libre, si noble, si unique a eu toujours tendance à faire sa chevauchée dans pas mal de cylindres, de tuyères, et de jointures. Ceci, pour la preuve que l’homme apprivoise l’intemporel et domestique le naturel. Du puits à la bâche à eau, de la jarre au jerrican, de l’outre à la congélation, d’el-guerba à la berrada, l’humanité a fait des progrès. Elle est toujours la même.
La première gorgée qu’aurait prise Adam ressemblait-elle à celle que vient de prendre le dernier nouveau-né à la maternité de Rahouia ? L’espèce aquatique ayant entouré l’Atlantide pour l’engloutir était-elle la même qu’aurait ébréchée Moïse ou ressemblait-elle comme deux gouttes d’eau à la flotte ayant dans le vieux temps hissé l’arche de Noé ? Dans la mer Rouge, la Noire, la Morte, elle règne solennelle au gré de monsieur Eole pour dessiner en relief un tableau de vagues et un ressac itératif, destiné à garantir la vie et la maintenir. Bénite, saumâtre, minérale, plate, gazeuse ou douce, l’eau est grandement une bienfaisance miséricordieuse.
Elle n’est ni rurale ni citadine. Départageant le polyglotte et l’idiot, ses saveurs n’ont de politiques que celles liées aux raccordements, aux redressements de taux et aux compteurs de débours. En ville, elle s’est incrustée dans les murs, sous la terre, au-dessus des planchers, dans le ventre du PVC. Elle est vitalement indispensable tant qu’elle se situe à un pied d’égalité, dans les manoirs que dans les chaumières, dans les palaces que dans les latrines. Cosmopolite, sans nationalité, elle viole sans visa les frontières les plus hermétiques. A multi-usage, nous la consommons sans égard à ses sentiments ni à ses crépitements. Elle court, courante et potable, pour apporter ses essences aux organismes vivants et les revivifie par ses caractéristiques mécaniques et ses propriétés chimiques. L’eau est rebelle. Elle brise tous les cadenas. C’est pour cela qu’elle commence à se raréfier par-devant l’homme dépensier, ce laveur à grande eau de carrosserie, mais pas de chaussée.
A l’avoir, l’on ne pense plus à la sauvegarder. A la perdre, l’on court à sa recherche. Que faire donc face à cette muse tantôt insaisissable, tantôt abandonnée ? Eh bien, en faire attention ! La chérir, l’amadouer et héler du haut de ses soifs, de ses déserts et de ses malheurs: Ô eau
24 juillet 2013
El Yazid Dib