Et donc ? Le seul événement de la semaine est l’anniversaire de Bouteflika. Entre lui et lui-même. Cela ne concerne pas les Algériens. Comme tout l’espace du Pouvoir : on ne sait pas comment est le bureau d’un président algérien. Ovale ? Carré ?Probablement rectangulaire : un angle pour le président, un angle pour l’armée et un angle pour les martyrs, alias le FLN, alias l’Appareil. On ne sait pas quoi mange un président : des dattes et du lait comme les Arabes ? De l’huile d’olives comme les ancêtres ? Du tadjine marocain comme à Oujda ou les feuillages sauvages comme au temps de la guerre ? Personne ne sait : un président algérien vit, mais n’est pas vivant. Il doit incarner l’autorité, la rigueur et donc l’inaccessibilité : il doit ressembler à un martyr qui inspecte l’état du pays libéré. Ses réactions sont le silence, le discours ou la colère ou le reproche : « nous sommes morts pour vous et on a le droit de vous crier au visage et de vous insulter, frapper ou malmener pour vous culpabiliser ». D’ailleurs, les gestes d’un président sont calculés comme ceux d’un cadavre ou d’un drapeau. On ne sait rien de la femme d’un président sauf par la rumeur, les proches parents ou les soupçons de corruption. Ou les envies. Quel est l’emploi du temps d’un président ? Vivant s’entend, pas quand il est malade. Qui l’habille ? Production locale ? 49% ou 51% comme le veut la loi sur les investissements étrangers ? On ne sait pas. Le Pouvoir ne se montre pas, ne se confesse pas, ne fréquente pas le peuple. Il est populiste en idéologie mais élitiste dans le mode de vie et le ménage.
On n’a pas la tradition d’ouvrir le bureau du président au peuple. Seuls les visiteurs étrangers peuvent le voir et quelques intimes. La présidence est aussi fermée aux écoliers algériens. On n’est pas aux États-Unis. La présidence et un espace fermé, clos sur lui-même : c’est un palais situé dans un maquis, dans la Montagne de la Révolution. Les images ? Les mêmes : un président souriant en se forçant presque, saluant des gens invisibles, sourcils froncés, en colère, l’air grave comme un cadavre qui regarde l’éternité. Les présidents algériens ne sont jamais filmés en jogging, en manche courte, en tenue de vendredi ou en tenue de travail. Tout juste, parfois, un pigeon blanc pour signe de la paix. Il existe même des affiches de Bouteflika se serrant les deux mains, comme s’il se donnait la main à lui-même, dans un geste de refus du monde et de l’autre, en mode zone autonome.
Donc pas d’image. Juste une seule. Stalinienne. Pas d’accès à la présidence pour les enfants algériens sauf s’ils prennent les armes. Pas de portes ouvertes. Pas de caméras. Pas d’information sur l’ameublement, les costumes, les dépenses, les menus de la cuisine. Ce n’est pas un pays transparent. C’est une caserne entourée de civils. On ne se fréquente pas. Le Pouvoir est une caste. Ce n’est parce qu’on vous a libérés des colons que l’on va se fréquenter. Le pays n’aime pas la joie. A cause de sa religion ou à cause des martyrs.
24 juillet 2013
Kamel Daoud