L’autre chômeur est celui déjà irrécupérable : il a fait la jonction entre sa condition et le dossier Khellil. Il est conscient, désaliéné selon le langage périmé de la gauche. Il a compris et maintenant ne veut pas un salaire mais un Etat. Il est réveillé et ne veut pas dormir. Alors il encercle celui qui encercle son puits. Un chômeur nu, glissant entre les doigts, insaisissable, est plus menaçant qu’un haut corrompu (on dit d’ailleurs «le neveu de Bejaoui», alors qu’un chômeur n’est le neveu de personne). Si le neveu de Bejaoui, aujourd’hui cité dans les journaux comme un intermédiaire pour de lourds dossiers de corruption, était un chômeur a Ouargla, il aurait peut-être été fiché, traqué, surveillé, arrêté et inculpé souvent. A Zéro dinar, il est une inquiétude. A 200 millions de dollars, il est une norme. C’est ce qui explique un peu ce paradoxe algérien : le régime chez nous est doté d’une formidable capacité d’intuition sur les essences et les raisons. Il devine très vite l’intention profonde. Né au maquis, il ne croit pas aux pensées mais aux arrière-pensées. Un corrompu est toujours un client, un chômeur militant est essentiellement un dissident. D’où cette étrange guerre algérienne : on ne pourchasse pas les corrompus, mais ceux qu’on n’arrive pas à corrompre parce que c’est trop tard.
Le chômeur absolu n’est le neveu de personne par Kamel Daoud
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24 juillet 2013
Kamel Daoud