Et donc les Algériens le disent aujourd’hui dans les cafés, face aux miroirs et face à leurs fils : nous n’existons pas. Si la génération 54 meurt, la génération Zéro va sombrer. Qu’est-ce donc l’Algérie a produit depuis 62 avec ses milliards de dollars en éducation, école, formations, stages, universités et discours ? Pourquoi avoir tant dépensé si tout se résumait à la proposition maquis et à la légitimité par les armes ou la guerre ? La question ne se pose pas.
Tout semble être fait pour accréditer cette idée, lui donner la légitimité d’une évidence que l’on ne peut contester : la télé, le feuilleton Belkhadem, le ridicule des maires, les émeutes, etc. Tout pousse à installer dans les esprits ce complexe d’infériorité du peuple face au régime et cette honte et ce déni de soi devant les enfants uniques de l’histoire algérienne ou de sa rente. Au point où le nouveau «colonisé» est convaincu, comme autrefois, qu’il est «arabe», paresseux, incapable de civilisation, destiné à la sauvagerie si le colon ne fait rien et ne prend pas les commandes.
La phrase de «je suis candidat car personne n’est capable» est l’équivalent local de «je suis colonisateur car personne ne travaille cette terre». Ou «je vous colonise car vous n’existez pas». Ou «je vous colonise car c’est pour votre bien». Le tout pour dire que cette phrase résume comme un slogan la pensée profonde et unique du régime chez nous. Sa psychologie de tuteur nécessaire pour peuple impossible. C’est la théorie du président par défaut depuis Ben Bella.
Sauf que c’est une arnaque : l’idée est de convaincre ce peuple qu’il n’existe pas et que la génération qui le gouverne est nécessaire car sans alternative. Sauf que le temps s’écoule. A la fin, on va payer la facture que l’on veut éviter en restant immobile : les gens qui vous demandent de ne pas les changer vont peut-être mourir. Et là on se retrouvera avec le drame : pas de relève, pas de peuple et à peine un pays. On sait que les enfants uniques n’aiment pas avoir des enfants. Ni grandir.
«Je suis candidat parce que personne n’est capable» veut dire : je suis candidat parce que tous sont des incapables. Vous surtout. Un par un.
24 juillet 2013
Kamel Daoud