Et c’est parce que Beria existe que le reste a fini par exister. Cette façon d’user du pouvoir, du téléphone, de la nomination et des rentes s’est généralisée auprès de la génération actuelle des petits-fils idéologiques de Beria d’Alger. Tous font comme lui. Du coup, puisqu’ils lui ressemblent, l’empire de Beria s’est agrandi : plus ils sont sales, plus il est puissant. Plus le pouvoir est faible, plus il est fort. Ainsi de suite. C’est l’effet domino inverse : quand le centre s’affaiblit, la périphérie se renforce en autonomie.
Donc tout cela pour dire que la corruption est une institution aussi. Une culture liée au concept du bien public, défectueuse à cause des butins de guerres. Celui qui ne «prend» pas est vu comme un idiot. Celui qui ne mange pas est un dos-d’âne. Celui qui ne comprend pas qu’il faut payer, finit par le payer. Ainsi de suite. C’est dire que ce fut amusant d’entendre le Président de l’APN proclamer que le régime est bon et que tous les hauts cadres ne le sont pas. ««Il existe, en Algérie, une grande majorité d’hommes et de femmes intègres dans différents postes de responsabilité qui veillent à préserver les fonds publics» dira-t-il, à l’ouverture de l’actuelle session de l’APN qu’il préside. Et là où élu aurait dû s’inquiéter de la corruption, il s’inquiète des accusations de corruption ! Là où on doit s’élever contre le scandale on se scandalise que les Algériens généralisent. Du coup, le crime change de camp : les Algériens sont coupables de généraliser et les corrompus sont presque innocentés parce qu’ils sont une minorité. On parle alors d’excès et on se fait avocat de l’intérêt d’une minorité, au lieu de celui de la majorité. De quoi laisser songeur sur la définition du mandat de députation : représenter le peuple ou le pouvoir ? Le Pouvoir répond le chœur. De l’absurde en live. Des élus du peuple qui au lieu de surveiller les «exceptions corrompues» comme ils disent, se chargent de faire des mises au point au bon peuple.
Et Beria ? Il existe toujours. Les propos de Ould Khelifa lui donnent déjà de l’espoir : l’orage va passer et il a déjà des avocats bénévoles.
23 juillet 2013
Kamel Daoud