Jour 14, mois 22, année du coude rusé. Allongés face au ciel, on le scrute. Certains disent qu’ils peuvent voir, au-delà des nuages et de la Nasa, les feux de l’enfer, les femmes esseulées du Paradis, les grappes de raisin, le jugement dernier, votre visage,
vos gestes et même entendre ce qui se dit par haut-parleurs durant cet ultime rassemblement de l’espèce face au miroir des confins. D’autres, allongés aussi, regardent le ciel et ne voient que le ciel sans la pluie, c’est-à-dire sans récoltes, c’est-à-dire sans rien à manger. D’autres le regardent comme on regarde un puits en se demandant qu’est-ce qui se passera si on tombe dedans. Tomber vers le ciel est-il possible ? Oui, cela fait pousser la barbe et rétrécir le cerveau en un long turban qui va se dérouler en longueur pendant que l’on perd son souffle et qu’on collectionne des espadrilles. D’autres encore, tout aussi allongés, les mains nouées derrière la nuque, scrutent le ciel pour chercher le sommeil. C’est le droit du peuple après un millénaire de colonisations et de guerres : se reposer, ne rien faire, marauder immobile, profiter enfin de la gratuité du pays et de la vie. Et d’autres ? Ils surveillent le soleil. Il est l’ennemi de l’ombre, alias le repos, la sieste, l’oisiveté, l’électricité. Amis du délestage, de la mauvaise humeur, du manque d’argent et de la sécheresse. Le ciel est la patrie du bras cassé, du méditatif, de celui qui veut lire l’avenir, pas le présent, de l’aviateur impénitent et du songe. Il pèse sur la nuque par le poids des croyances impérieuses. Il piétine la terre. D’ailleurs, c’est la grande question : que faire du ciel ? Pour la terre, c’est évident : la cultiver, la construire, la voler au plus faible, la parcourir, y planter l’arbre ou le drapeau. Et pour le ciel ? Le croire ou l’ignorer. Le peupler de dieux ou d’avions. Y lire la météo ou l’avenir. Le craindre ou s’y promener. On ne sait pas quoi en faire au juste. Alors, certains le subissent et d’autres y cherchent de nouvelles terres.
Donc, on est tous allongés. Bouteflika pour une période de repos qui fait suite à une autre période de repos. Un troisième mandat en congé de maladie. Cela rime avec le reste. Et nous aussi. Allongés sur le pétrole, faisant la planche sur le gisement. Emportés par les aliments, d’un repas l’autre. Priant le ciel que la terre nous soit gratuite et offerte tant qu’il est là. Humour extraordinaire du slogan «Mazal wakfine» que les Algériens ont conjugué à toutes les variantes de l’autodérision.
23 juillet 2013
Kamel Daoud