Au bas de l’échelle, il y a déjà des centaines de faux fils du Général Mediene, des neveux imaginaires de Bouteflika, des fils autoproclamés de Zerhouni, des filles autoproclamées de Temmar etc. C’est toute une famille de délinquance, d’escrocs et de brillants usurpateurs que l’Algérie croise, arrête, croit, se fait avoir par eux ou finit par les avoir, depuis des décennies. Plus le pouvoir réel est informel, plus cette famille s’agrandit et devient nombreuse et active pendant des années. Si on était en démocratie, on aurait eu, au plus, deux ou trois. Mais on n’y est pas : donc on a des centaines de faux fils de généraux ou de ministres. L’autre raison ? Il y a toujours clients pour le genre : puisqu’on sait que le pouvoir n’est pas celui que l’on voit, que celui qui décide n’est pas celui qui est responsable, on s’adresse et on cherche celui que l’on suppose. Sauf que là, la marge d’erreur est grande : on peut tomber sur le vrai neveu comme sur dix faux neveux. Le réseau étant plus puissant que la loi et le droit, des Algériens préfèrent connaître quelqu’un que connaître un texte ou une procédure. C’est l’héritage FLN de l’époque de guerre : la clandestinité. Rien ne distingue un «Frère» d’un faux. Pas même le regard. Comme pour les hadiths, tout fonctionne avec des chaînes de garants.
Du coup, parce qu’on est responsable des siens, dans le cadre de la matrice tribale, parce que les siens peuvent jouir et abuser d’un prénom puissant, on tombe dans la logique du neveu Bedjaoui. L’ancien ministre aura beau expliquer, il ne pourra pas faire contrepoids : il a un nom et ce nom a pu (ou pas) servir. Actuellement, tous les partenaires étrangers de l’Algérie sont convaincus par la nécessité de connaître un neveu avant de lire l’appel d’offres. Dans ce terrain clair-obscur, on peut tomber sur le décideur ou sur l’abuseur. Selon la chance et l’intuition. Rien ne différencie un Bedjaoui de son neveu, dans ce monde et rien ne différencie un vrai neveu d’un faux. On se souvient de ce mythe de cinéma collé aux dictateurs amusants : ils useraient de sosies pour tromper les commanditaires d’attentats contre leur personne. Chez nous, Bouteflika est un, mais il a quarante frères. Autant que chaque général, ou ministre, a quarante fils et filles qui font des affaires. On a plus de faux généraux et colonels de DRS que de vrais et ils gagnent plus parfois. Un vrai état-major ambulant : on en arrête beaucoup, mais ils réapparaissent car le système politique actuel en assure la matrice : il n’a pas de photo donc tout le monde peut prendre son visage. Comme pour les islamistes : ils savent que personne n’a vu Dieu, alors ils se font passer pour ses messagers.
Et dans ce conflit d’apparences et de vérité, on ne sait plus si le neveu est vrai ou faux ou si c’est son oncle qui est une illusion. D’ailleurs, qui prouve que la vérité est la réalité ? Si on a neuf faux colonels de DRS arrêtés et un seul vrai que l’on ne connaît pas, et si les neuf prennent le pouvoir, que deviendra le dixième qui lui est authentique ? On ne sait pas. On peut l’étrangler comme on a fait pour Abane Ramdane.
Le neveu de Bedjaoui est aussi le fils de l’histoire nationale.
23 juillet 2013
Kamel Daoud