Il ne s’agit même plus de débattre de la source de la légitimité politique et comment on en est arrivé là, mais d’un autre drame : le reste des pépinières des cadres se tarit avec le temps, n’offre plus les techniciens majeurs qui puissent assurer l’incarnation de l’autorité et l’illusion de la probité ou de la compétence. A Ouargla des chômeurs ont proclamé, par un geste d’intelligente provocation, appeler l’armée à nationaliser Sonatrach et à libérer le peuple otage du pays. Et cela va s’accentuant avec les affaires de corruption, les enquêtes : on demande aujourd’hui à l’armée de sauver le pays de son peuple et de ses administrations. De quoi faire sourire de plaisir certains : sans nous vous vous mangerez ou vendrez le pays. C’est la doctrine de l’incapacité du civil qui revient sur scène. En cinquante ans, on en est toujours à la même équation d’équilibre : une caserne qui protège le pays de l’invasion mais aussi de lui-même. On n’a pas réussi à aller plus loin que la conception primaire de l’autorité : celle qui n’est pas fondée sur l’autorité et le consensus de la loi mais sur la surveillance et la régence par tuteurs à vie. Ce n’est pas la faute de l’armée, du moins pas entièrement au sens strict du terme, mais la nôtre aussi, tous. A lire et à relire, selon l’ami, la fable de La Fontaine sur les grenouilles qui demandent un Roi. Le recours à l’armée comme tuteur et légataire est devenu un instinct chez nous, une évidence, un automatisme de notre courte histoire de peuple indépendant. On n’a rien fondé sur la morale propre et le sens de la responsabilité : c’est soit la religion, soit la caserne pour nous faire respecter le feu rouge ou la propriété d’autrui. Illusoirement. L’idée de « l’impuissance et de la malhonnêteté historique du civil algérien » est une loi fondamentale de la psychologie collective et va se confirmant avec le temps et les scandales.
Emmanuel Kant en Algérie est un colonel ou un imam.
23 juillet 2013
Kamel Daoud