La seconde raison de cet échec annoncé est la communication. Là, les chômeurs du sud ont de l’avance sur le Premier ministre du nord, de l’inventivité et de la fraîcheur sur Ould Kablia et les BRQ et de l’ENTV nord-coréenne. Ils sont victimes, communiquent mieux, s’organisent mieux et gardent l’initiative. En face, on a d’abord la maladie du « magique » chez le gouvernement : chaque ministre algérien a cette tare de croire que les choses sont résolues quand il signe un décret ou fait une visite « d’inspection et de travail ». Et quand la Sellal & Cie réagit, c’est sur le mode du retard, de la confusion, de la culpabilité ou de la bêtise. Ou bien sur le mode d’accusations et d’insultes comme l’a fait Ould Kablia (question : pourquoi les ministres algériens de l’Intérieur ont le don de la maladresse, du bégaiement ou de l’idiotie ?). Les acteurs du sud ont le meilleur rôle et les ministres du nord sont les méchants.
Troisième raison ? La vision statistique : dire que les chômeurs de Ouargla sont une minorité ne sert à rien. Toute contestation commence par une minorité et finit dans la radicalité et la masse. Loi des foules. Ce n’est pas parce qu’ils sont une minorité qu’ils ont tort.
Quatrième raison ? Le temps. Le gouvernement du nord a laissé passer du temps et a réagi en pompier, pas en responsable. Du coup, il est dans la position la pire : celle du faible qui a peur. Au lieu de réagir avec vitesse, on a préféré attendre. Attendre ce que va dire Bouteflika, ce qu’il veut faire ou ce que le régime pense. On a attendu que les choses empirent, que le langage en vienne à la menace. Maintenant le Pouvoir réagit comme un riche qui panique. Il va faire deux erreurs : donner plus, abusivement et dans la hâte et inutilement, et frapper fort, injustement et dans le dos. Cela se conclut généralement par un effet d’appel des « clients » et un effet de radicalisation des acteurs de la contestation. Les Algériens ont l’instinct sur des rapports de force et le régime le payera fort.
Cinquième raison ? L’incapacité à comprendre qu’on ne peut pas résoudre la question (réelle ou pas du sud) avec de la bonne foi : entre le nord et le sud, il y a un troisième acteur : des puissances locales fortes, des résistances de rentières, des détourneurs et des seigneurs. Autrefois, cela s’appelait des colons face à la métropole. A Ouargla ou ailleurs, un wali ne peut rien parfois. Les puissances qui commandent ne sont pas sa tutelle ou son ministre de l’Intérieur. Un ministre y a à peine le poids d’un président d’APC pour quatre jours. Il peut venir, promettre et parler mais sans rien régler. Ce sont les colons et leur relais algérois qui décident.
Fausse dernière raison ? Le mensonge : on a trop menti pour qu’on puisse se faire croire aujourd’hui. A l’émissaire de Sellal au sud, les chômeurs auraient répondu qu’il s’agit de promesses déjà faites. Et ils ont raison. En 50 ans d’indépendance, le sud a obtenu un wali né du sud.
Et la crise s’aggrave encore plus avec les scandales du nord. Aux émirats où Ould Kablia a préféré parler de nos questions et nos linges sales, le ministre de l’Intérieur a eu cette phrase suisse : « Les enquêtes sur l’affaire de Sonatrach sont en cours. Pour nous, il est difficile d’accuser une personne ou un fonctionnaire en l’absence de preuves convaincantes et sûres ». Valable pour Khellil et les siens, pas pour les chômeurs du sud qui sont déjà traités comme des traîtres.
Au nord, on attend que la « justice » tranche. Au sud, c’est la matraque et la calomnie qui vont trancher.
22 juillet 2013
Kamel Daoud