Donc le bonhomme partait avec deux ou trois avantages sur l’histoire de la gouvernance en Algérie: le régime était aux abois, cherchait une solution et une meilleure image et du concret. Ensuite l’homme est «neutre». Ensuite, parce qu’il n’est pas «politique», il ne pouvait qu’être efficace. En dernier: il n’avait pas de casseroles.
Cela inaugura donc un début de noces avec le patronat, le vrai, pas celui qu’aimait Ouyahia et ses folklores nord-coréens. Cela a aussi permis de mener ce qu’aucun autre pays «arabe» ne pouvait se permettre en ces temps de révolutions: dégager les trottoirs, les rues, les ruelles, les devantures et les espaces publics et même la rue adjacente à la villa de Zerhouni. Et cela annonçait un début de retour au réel après des années de gargarisme aux rimes de la réconciliation et de la fakhamat miraculeuse. N’étant pas qualifié de génie, ni prétendant à la présidence, Sellal avait donc la possibilité de faire son travail, de travailler simplement et avec un esprit de concret qui pouvait être salué de meilleur parce qu’en Algérie on avait l’habitude du pire. Ceci pour l’hagiographie heureuse et la légende dorée. Sellal a démontré aussi qu’il avait le don de parler comme un Algérien, pas comme une kasma, pas comme un Iranien embusqué, pas comme un chasseur de cadres ou un haineux.
Les désavantages de la vie de Sellal 1er (ministre)? D’abord et surtout le régime qui ne lui permet pas d’être autre chose que régent ou intendant d’une transition. D’ailleurs Sellal a trois autres Premiers ministres dans son équipe: Ould Kablia, Medelci, Ghoulamallah, Youssef Yousfi et Chérif Rahmani.
Ensuite, la loi ne lui permet pas d’avoir des pouvoirs mais seulement des responsabilités: il est Premier ministre, pas chef de gouvernement, il n’a pas de parti avec quoi menacer. Il connaît bien le dicton essentiel de Bouteflika: le clou qui dépasse interpelle le marteau (proverbe japonais).
Ensuite, les dégâts sont profonds. Pour faire du bon travail, il lui faut une dé-ouyahiasition massive, puis une dé-belkhadémisation clinique, puis un recouvrement de la souveraineté disséminée et émiettée entre centres de décision. Il lui faut aussi une administration qui s’est autonomisée en fonction des rentes et des puissances, des cadres qui ont fui ou ne s’engagent pas et il lui faut triompher de l’éclatement des centres de décision sous Bouteflika, surtout dans le pays profond.
En dernier, le peuple, Sellal a bonne presse mais il devra trouver une solution: comment tout faire avant 2014 à 00h00 ? C’est-à-dire contenter un peuple qu’il faut calmer, un président qu’il faut reconduire sous une forme ou une autre ? Comment gérer le pays quand le peuple ne sait que demander et le régime ne sait que frapper ou tricher ? Comment préserver le Nord, sauver le Sud, enrichir tout le monde, mettre en confiance les pires et les peureux, lutter contre la corruption et livrer de bons chiffres avant 2014 ? On ne sait pas. Pas même lui.
Selon ses proches, c’est un homme sincère dans un système menteur et la bonne foi est meilleure religion que la foi. C’est déjà une vertu par rapport à ses prédécesseurs.
21 juillet 2013
Kamel Daoud