Mais, il y a autre chose à retenir : ce que les Subsahariens ont compris, à Oran ou ailleurs, sur nous, nos mentalités et nos inhumanités : les « arabes », les musulmans ne sont pas sensibles à l’humanité mais à l’islamité. Les mendiants subsahariens, dans les rues, leurs femmes et enfants ont compris que la charité ici n’est pas humaine mais religieuse. Du coup, ils réagissent en fonction : les fillettes sont en hidjab et les femmes sont voilées. Quand vous leur donnez les 100 DA de votre rédemption, ils lèvent les mains vers le ciel et prient « Allah » en langue arabe pour bien faire comprendre les termes de la seule transaction que nous admettons : de la charité contre le paradis, dans le cadre de l’Islam. Le Subsaharien non musulman ? Il n’a qu’à demander du pain à son dieu ou aux dieux de l’Europe.
Le Subsaharien non musulman n’existe pas ou ne doit pas avoir accès à la charité locale. Reclus dans l’extrême et le dénuement, ces migrants ont donc compris que le seul moyen de faire régir les Algériens, était la religion et que hors la grille religieuse, l’humanité est inexistence ici, ne peut pas émouvoir ou provoquer la compassion. Et c’est là la plus terrible preuve de nos enfermements idéologiques : les migrants ont compris que désormais la seule langue possible est celle de la religion. Cela veut dire beaucoup sur notre vision de l’humanité, de l’homme, de la douleur. Cela prouve ce que le monde « arabe » a perdu : l’universalité. Les musulmans sont sectaires, reclus, différents, fermés. Ils disent que le monde ne veut pas d’eux alors que ce sont eux qui ne veulent pas du reste du monde. Trouble profond de l’altérité, de la sensibilité et de la définition de la communauté : on ne fait plus partie de l’humanité ou seulement lorsqu’elle se plie à nos idéologies et dogmes.
Cela fonctionne ainsi ailleurs ? Oui, mais là, il s’agit de nous : la recette de ces migrants renvoie à la figure du croyant la solitude et la réclusion dont il a fait choix. Ceux qui ne sont pas musulmans peuvent donc mourir sous nos yeux, crever de faim et ne soulever que du mépris pour leur incroyance. Le monde n’est plus un monde pour tous, mais le terrain violent d’un partage : Dar el Islam et le Désert des incroyances. C’est le dernier langage trouvé par la misère du monde pour réveiller, en nous, un semblant de partage et de générosité. Les locaux ne croient pas que les Noirs ont une âme sauf si elle est musulmane, parfois. La charité est sélective et ce n’est plus donc de la charité mais du recrutement. Cela est dans les rues d’Oran mais, d’abord et surtout, dans les têtes. Affreux égoïsmes et misère de nos humanités dégradées. Le reflet de nos exigences sur ces visages de migrants est terrible et scandaleux.
21 juillet 2013
Kamel Daoud