Première réponse : la peur. Les gens ont peur, alors ils se serrent autour de Bouteflika. Jusqu’à ce qu’il meure. Le peuple a peur du peuple, grande énigme de l’Algérie que les autres pays n’arrivent pas à comprendre comme ressort psychologique fondamental. Ensuite, il y a des gens qui n’hésitent pas devant le paradoxe : ils détestent le système, mais n’ont rien contre Bouteflika. Le lien entre les deux n’est pas visible à leur yeux et il n’y pas de lien entre la cause et l’effet. Ces gens ne se disent pas qu’en reconduisant Bouteflika, le système se reconduit. Ils ne voient pas de lien entre leurs misères et colères et le manque de démocratie. Les Présidents algériens ont cet étrange avantage d’être perçu comme étant eux-mêmes victime du Système, du Frère, du Cercle, de l’Entourage, des « Services » ou de l’Armée. Et le peuple aime à être du côté des victimes.
Ensuite, il y a la grande Algérie rurale, paysanne, celle qui est encore FLN et qui vote pour le vote du FLN, comme autrefois on cotisait pour que le FLN gagne contre la France. Cette grande masse morne et fidèle, Chouroukisée, que le système manipule et qui plait tant au narcissisme de l’actuel Président et produit un effet d’illusion puissant dans les systèmes populistes.
Ensuite, il y a les clients. Beaucoup. On ne le dit parce qu’il est dit qu’on doit écrire que le peuple est bon, mais ce peuple pense que la dictature paye mieux que la démocratie. Traduire : racketter un malhonnête est plus payant que de fréquenter un homme honnête. Traduire : être client vaut mieux qu’être citoyen. Traduire : manger et se faire manger est plus nourrissant que la démocratie et la liberté. Avec beaucoup de clients, et peu de citoyens, un quatrième mandat est une logique alimentaire.
Ensuite, il y a le Système : il contrôle la propagande, connait les peurs du peuple et ses cupidités, sait comment diviser les élites ou les exiler et a une longue expérience de survie internationale. Bouteflika sera, paradoxe du monde arabe, élu même par l’Occident ces temps-ci.
Conclusion ? Au fond, rien n’a changé : ni le système, ni ce peuple, ni les élites, ni l’équation alimentaire, ni l’économie. Pourquoi, disent les plus ténébreux, changer un Président puisque tout le reste n’a pas changé ?
21 juillet 2013
Kamel Daoud