le 15.07.13 | 10h00
Chers frères, chères sœurs citoyens. Vous savez assurément que je ne désirais pas me porter candidat à la présidence de la République au lendemain du décès du président Houari Boumediène. Je n’avais accepté d’être candidat à ces fonctions que sur insistance de mes compagnons et en ayant alors conscience que c’était là une lourde responsabilité et un grand honneur.» Ainsi commence la lettre de démission du président Chadli Bendjedid qu’il avait remise au président du Conseil constitutionnel, Abdelmalek Benhabylès, le samedi 11 janvier 1992, sous l’œil des caméras de l’ENTV et diffusée au JT de 20h.
Ce passage fait écho aux conditions dans lesquelles le Président démissionnaire avait hérité de la charge suprême treize ans plus tôt. Il n’avait effectivement rien demandé. Il était presque un «candidat par défaut» à la succession de Boumediène.
Flash-back. Suite à la mort subite du président Houari Boumediène, le 27 décembre 1978, deux tendances lourdes vont se dégager au sein du pouvoir pour lui désigner un successeur. L’une est favorable à l’apparatchik Mohamed-Salah Yahiaoui, le coordinateur du parti chargé par Boumediène, avant sa mort, de préparer le congrès du FLN, tandis que l’autre appuie celle du libéral Abdelaziz Bouteflika, le fringant ministre des Affaires étrangères.
C’est le 4e congrès du FLN qui devait arbitrer entre les deux candidats putatifs. Les travaux s’ouvrent le 27 janvier 1979 et durent quatre jours. Le bureau du congrès est dirigé par Boualem Benhamouda. Y figurent : Kasdi Merbah, chef de la Sécurité militaire, Ali Kafi, Lahcène Soufi et Mohamed Salah Laïdi (1).
La surprise du chef de la SM
Les travaux du congrès sont répartis sur trois commissions. L’une d’elles est chargée de recueillir les candidatures au Comité central, au BP et à la présidence de la République. Les débats s’y déroulent à huis clos. Faute de consensus, l’armée finit par pousser l’un des siens sur le devant de la scène. Et ce sera le colonel Chadli Bendjedid. C’est la surprise du «chef», comprendre le «chef de la SM», Kasdi Merbah. Ce dernier aurait eu cette boutade : «Il y a deux candidats : Chadli ou Bendjedid.» Et ce n’était pas une galéjade.
Dans son livre L’armée algérienne face à la désinformation, Nezzar écrit à ce propos : «La question, nous le sûmes plus tard, s’était réglée entre Kasdi Merbah, Abdellah Belhouchet et Mohammed Attaïlia, ces deux derniers ayant apporté la caution indispensable des chefs de région. Seuls quelques officiers étaient favorables à Chadli Bendjedid.»(2). Chadli est officiellement coopté sur la base du principe : «L’officier le plus ancien au grade le plus élevé.» Il était alors commandant de la 2e Région militaire (Oran). Dans ses Mémoires, il affirme que Boumediène, à qui il était lié par une solide amitié, l’avait, en outre, nommé peu avant sa mort coordinateur de tous les corps de sécurité.
Kasdi Merbah était donc à la manœuvre dans les coulisses pour faire avaliser la candidature de l’inattendu colonel à la crinière blanche. «D’après les différents témoignages que nous avons pu recueillir, Kasdi Merbah aurait menacé les éventuels opposants à son «choix» de rendre publics des dossiers gênants les concernant», glisse Abdelkader Yefsah dans La question du pouvoir en Algérie(3). Et Nezzar de citer cette anecdote édifiante : «De tous les souvenirs qui me restent de la réunion du Comité central qui devait entériner le choix de Chadli Bendjedid comme candidat du FLN à la magistrature suprême, je garde l’image du commandant Mouâaouya, un des adjoints de Merbah, debout, les bras tendus et rythmant, comme un chef d’orchestre, le mouvement du carré compact des représentants de l’ANP : tous debout à son signal au moment où Chadli Bendjedid rentrait dans la salle. Tout le monde assis, toujours à son signal, lorsque Mohamed Salah Yahiaoui ou Bouteflika y pénétraient à leur tour…» (4) Le 7 février 1979, le candidat de la SM est élu sans surprise à un score «stratosphérique» de 99,40%. Classique.
Arrêt du processus électoral : 11 janvier 1992, fin de mission pour Chadli
A la faveur de la Constitution du 23 février 1989, qui consacre le multipartisme, le Front islamique du salut (FIS) est agréé et monte aussitôt en flèche. Le 26 décembre 1991, le parti de Abassi Madani et Ali Benhadj rafle la mise lors du premier tour des législatives. Avec 24,59% des voix, il arrache d’emblée 188 sièges sur les 231 en jeu. Il est à seulement 28 sièges de la majorité absolue à l’Assemblée.
Que faire face à ce raz-de-marée islamiste ? Panique au sommet de l’Etat. Chadli ne fait pas mystère de sa position. Il penche pour le légalisme et exprime sa disponibilité à cohabiter avec le FIS au nom du «respect du choix du peuple». L’establishment militaire conduit par son ministre de la Défense, le général Khaled Nezzar, est d’un autre avis. Pour lui, le FIS constitue une sérieuse menace pour la jeune démocratie algérienne et estime qu’il faut absolument lui barrer la route vers les cimes du pouvoir. Les militaires provoquent, dès lors, un «bug» du système en poussant Chadli à la démission. Le deuxième tour des législatives est annulé. C’est le fameux «arrêt du processus électoral» que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de «coup d’Etat constitutionnel».
L’ANP et ses «mesures extrêmes»
Une question turlupine l’opinion à ce jour : Chadli a-t-il été forcé à la démission, ou bien a-t-il démissionné de son propre chef ? Dans un entretien accordé à deux chercheurs japonais, Kisaichi Masatoshi et Watanabe Shoko, Chadli apporte de précieux éclaircissements sur cet épisode : «Moi, j’étais pour la préservation du cadre démocratique et comme le peuple avait choisi l’autre camp (les islamistes), nous nous devions de leur remettre le gouvernement et les laisser prendre les rênes du pays.
Mais des membres du FLN qui ont eu peur pour leur personne, m’ont demandé d’annuler les élections et de les refaire. Mais j’ai refusé leur requête par respect pour la Constitution et par fidélité au serment que j’ai prêté quand j’ai juré sur le Coran de respecter la volonté du peuple algérien. C’est pourquoi, je n’ai pas demandé au peuple algérien de revoir sa position à l’égard des islamistes. Qu’aurait pensé l’opinion nationale et internationale si j’avais annulé les élections ? Ils auraient pensé que les réformes engagées par Chadli étaient une simple manœuvre pour rester au pouvoir. Et pour cette raison, j’ai décidé de laisser le pouvoir et j’ai présenté ma démission par respect envers le peuple algérien. Ceux qui prétendent que c’était un coup d’Etat ont tort parce que j’ai démissionné de mon plein gré, sans la moindre pression de quelque partie que ce soit.»
Dans ses Mémoires, Nezzar soutient que la résolution qu’avait prise le président Chadli de quitter le pouvoir avait, spontanément, recoupé les conclusions auxquelles étaient parvenus les chefs militaires : «A partir du 30 décembre (1991, ndlr), l’armée d’une manière générale n’acceptait point de se résoudre à voir le FIS disposer d’une majorité absolue au Parlement. Vers le 3 janvier, la période de préparation politique et militaire fut retenue du fait du scrutin entaché d’irrégularités et émaillé par les intimidations des militants du FIS (…)»,(5) dit-il, avant d’ajouter : «Des mesures pratiques, politiques et militaires avaient été envisagées. Aussi, la démission du président Chadli nous a évité de recourir à ces mesures extrêmes.»
«Je viens de limoger Nezzar»
Nezzar nous apprend, au passage, que «Larbi Belkheir, qui voyait que l’aboutissement des discussions tardait, frappa du poing sur la table à plusieurs reprises et déclara, ferme : si vous ne le faites pas, je demanderai dès demain aux walis d’arrêter le processus !» Dernière précision et non des moindres : «La fameuse lettre de démission de Chadli, lue à la télévision le soir même, fut rédigée par le général Touati et Ali Haroun. Elle lui avait été soumise à titre de proposition avant d’être avalisée par le Président», témoigne Nezzar.
Dans son livre, La mafia des généraux, Hicham Aboud donne une version différente de la démission de Chadli. Il affirme que le Président avait décidé de démettre Nezzar de ses fonctions et de le remplacer par le général-major, Dib Makhlouf, commandant de la Garde républicaine. «Je viens de limoger Khaled Nezzar et je t’ai nommé ministre de la Défense à sa place. Tu vas au ministère et tu donnes ordre aux troupes de rentrer dans les casernes», lui aurait enjoint Chadli(6). Dib Makhlouf informe aussitôt le général Khaled Nezzar. Décision est prise de «faire démissionner» Chadli.
Le général Touati et Ali Haroun écrivent la lettre de démission. «Les généraux Mohamed Lamari, Khaled Nezzar, Dib Makhlouf et Benabbès Gheziel font irruption dans le bureau du président de la République, coupé de ses gardes du corps. Ils usent de méthodes de voyous pour contraindre Chadli à la démission» assène Hicham Aboud (7). Selon l’actuel directeur de Mon Journal, c’est l’entrevue accordée par Chadli le 3 janvier 1992 à Abdelkader Hachani et au cours de laquelle il l’aurait assuré de son engagement à «respecter la volonté du peuple», qui aurait provoqué sa chute. Dans le bureau du Président, relate Hichem Aboud, «Lamari lui lance, sur un ton menaçant : ‘‘Alors, tu veux nous livrer à la potence ? Tu t’entends avec Hachani sans nous aviser ?’’ Eberlué, ne comprenant rien à ce qui lui arrive, Chadli balbutie quelques mots incompréhensibles. Lamari le prend par le revers de sa veste et le colle contre le mur : ‘‘Tiens ! C’est ta lettre de démission. Tu vas la lire maintenant devant les caméras, sinon tu connaîtras le même sort que Ceausescu !»
Notes : (1) Abdelkader Yefsah. La Question du pouvoir en Algérie.
ENAP. Alger. 1990. P318.
(2) Voir les extraits de son livre L’armée algérienne face à la désinformation publiés sur le site : http://algeriepatriotique.com/sites/default/files/bibliotheque/livre1505_03_5_2012.pdf
(3) A.Yefsah. op.cit. P320
(4) Khaled Nezzar. L’Armée algérienne face à la désinformation. Voir lien ci-dessus.
(5) Mémoires du général Khaled Nezzar. Editions Chihab, 1999, p234.
(6) Hichem Aboud. La Mafia des généraux. JC Lattès, 2002, P147.
(7) idem.
15 juillet 2013
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