Avec lui, le chargé des ressources humaines de la boîte. Petite discussion qui peine et s’incruste, puis on comprend l’essentiel : le bonhomme a dans son cartable une quinzaine de CV de jeunes du quartier qui veulent être recrutés dans la société. Le rêve algérien : être agent de sécurité. Les CV oscillent entre la moyenne de six à huit ans de scolarité, sans aucune qualification, pas de savoir-faire ni de prétention à apprendre. Juste un argument : ils sont du quartier de Haï Yasmine et le Tramway a son siège dans le quartier de Yasmine. Logique algérienne : ils disent être prioritaires. C’est la nouvelle légitimité, déjà déclamée par les chômeurs du sud : la légitimité par la proximité.
Le délégué du secteur urbain parlera de «ton qui monte» et de tension presque. On lui répond qu’on va faire le geste mais cela n’est pas garanti et se fait en fonction des tests. Le tout se résumant à ce qu’est devenue la logique du gain et de l’emploi en Algérie : les entreprises sont obligées de faire dans le social, les chômeurs font dans la menace. Traduction : rançon (emploi) contre racket (menace par la violence de l’émeute). Après s’être battue comme un seul homme (un seul héros, le peuple), l’Algérie se divise aujourd’hui en quartiers, après avoir été divisée en régions et wilayas historiques. Une société qui s’installe doit donc prendre en considération le quota «de proximité» pour ses recrutements. Cela se comprend un peu dans le sud algérien, mais cela est déjà un effet pervers au Nord. Au plus bas de l’échelle, cela est compris comme «un droit» par la force et une logique de «parts», de butin. L’argument du demandeur d’emploi n’est plus le savoir-faire, «l’intervention», la compétence ou le CV, mais l’adresse de résidence : plus on est proche du siège d’une société, plus on a droit d’y être recruté.
Le pays se morcelle donc en quartiers. On est dans la phase qui précède la logique du «c’est à moi, parce que je l’ai vu ou touché le premier». Ailleurs, des gens peuvent être en colère contre une délocalisation d’entreprise, ici on a inventé le contraire : les sociétés doivent payer leur «localisation». La solution ? Retrouver Benbouzid et lui demander de se débrouiller pour trouver la solution à la génération qu’il nous a laissé. C’est sa faute, la faute de ses chiffres et la faute de ceux qui l’ont employé.
13 juillet 2013
Kamel Daoud