L’information est fascinante comme objet de méditation: la police algérienne va recruter 1000 ou 6000 (selon les sources) chômeurs du sud algériens. Dans le cadre des efforts de l’état jacobin pour se souvenir du Sud et désamorcer la crise qui s’y aggrave. On peut en rester là et saluer le geste. On peut aussi méditer et rire. L’intention de la police illustre on ne peut mieux le piège dans lequel est enfermé le pays: les chômeurs qui sont frappés par les policiers seront recrutés comme policiers pour frapper les chômeurs. On restera à rêvasser sur les futurs émeutes ou rassemblements interdits de facto et durant lesquels les anciens chômeurs vont devoir frapper leurs anciens confrères et collègues. On s’imagine les regards qui se croisent, les yeux qui se baissent ou les matraques qui vont casser des bras ou des amitiés. C’est tout le drame du pays: il tourne en rond contre lui même. Il est l’ennemi de lui même. Une terre traversée par une grande ligne de séparation: à droite l’Etat, le régime, ses employés, ses enfants, ses sous fifres, ses alliés, ses soutiens. À gauche les autres, les opposants, les chômeurs, les envieux, les assis, les refusés, les autonomistes, les exilés et les disgraciés ou les licenciés. Sur la ligne de démarcation, les forces d’interposition: les policiers, les agents de sécurité, les vigiles, l’armée, la matraque mais aussi l’ENTV, l’idéologie des martyrs, la loi. Les futurs policiers du Sud seront bien sur plus méchants et plus royalistes. C’est un mécanisme connu: le zèle est le propre du converti récent. Mais c’est ainsi aussi pour le pays: il ne trouve pas d’autres solutions: faire traverser de temps en temps à un groupe la Ligne. Sauf que de chaque côté d’la ligne les coléreux se reproduisent plus vite que le recrutement. À la fin, il n’y a que deux emplois dans ce pays: travailler chez l’Etat ou ne pas avoir de travail. Agent de sécurité ou agent d’insécurité. Manger le pétrole ou se faire manger sa part et sa peau. Entre ces deux mondes, on n’arrive pas à créer un capitalisme fort, des patronats puissants et créateurs de plus-values. Des usines, des métiers, des arts et du savoir-faire. Rien. Et le régime ne sait pas créer d’autres métiers que celui de gardiens du régime. La recette des 6000 policiers est l’aveu lourd et tragique de l’impasse de l’économie et des visions qui piègent ce pays. Le régime ne sait pas quoi offrir et comment employer ce peuple sauf contre ce peuple. Il n a pas d’autres moyens d’absorber le chômage que de frapper les chômeurs.
13 juillet 2013
Kamel Daoud