Enfin de compte, pourquoi cet emballement ? A-t-on vraiment besoin d’un président en Algérie ? Est-ce vraiment nécessaire pour le pays ?

A la fin, à bien regarder le pays mastiquer encore ses subventions et siphonner son pétrole et se marcher les uns sur les autres, on se demande s’il ne s’agit pas de la preuve la plus absolue que le régime en Algérie n’a pas plus besoin de président depuis la mort de Boumediene. Depuis des jours, Bouteflika est en France, dit-on, et ici, on a le même programme : des émeutes, des vols, des réalisations, des JT, des grimaces, des Chinois et des journées comme le reste du monde. On se passe donc de la légitimité des urnes autant que le régime se passe du peuple et de ses choix. Le pays fonctionne comme semi-pays, avec ou sans scores électoraux. Personne n’a besoin de personne et tout le monde a besoin du pétrole. C’est la conclusion majeure de ces jours de convalescence muette. Et cela éclaire un peu comme un phare peut éclairer un mauvais maquillage sur un peau trop vieille : tout ce qu’on a dit, mangé, avalé, mâché et répété sur les enjeux de la constitution à venir, des héritiers potentiels, de la succession ouverte, de la difficulté à trouver un président, est peut-être inutile : le poste ne vaut pas autant de bruits et d’angoisses et de paris et d’analyses. C’est juste un emploi honorifique peut-être. Un égard. Une sorte d’adresse dont on a besoin pour faire admettre, à l’internationale, que l’entreprise possède un siège et un représentant et un dossier complet. Mais qu’au fond, c’est en off-shore que cela se passe.
Et ce n’est pas l’idée d’une sorte de pouvoir occulte, aimable facilité d’une partie des élites, qu’il s’agit d’exprimer, mais quelque chose de plus complexe : le pays n’a pas besoin de pays ! Il peut rouler sans volant et sans chauffeur. C’est un mécanisme biologique, pas une nation. On n’a pas besoin de la conscience pour déglutir et dégrader les aliments dans l’estomac : le corps a un cerveau mais il a des réflexes. Le pays a déjà des réflexes centrifuges propres qui lui permettent de se passer du retour de Boumediene. Perspective fascinante : la vie nationale est désormais du domaine de l’instinct. L’Algérie peut continuer sans son président comme elle fonctionne, depuis longtemps, sans son peuple. Il suffit juste d’une sorte d’intendant, de comptable qui compte les chèques, les subventions, les aliments et les augmentations. Aidé par un policier majeur qui frappe parfois ou qui incarne l’ordre désincarné, justement. Le pays se tient encore debout parce qu’il a toujours été assis. Paradoxe zen. D’où la question : A-t-on vraiment besoin d’un président de la République ? Echo lointain et philosophique de l’autre question déjà tranchée depuis les premières années : A-t-ton vraiment besoin d’un peuple en Algérie ? Réponse : non. Pour les deux.
13 juillet 2013
Kamel Daoud