Portant gaillardement ses 90 ans, le vieux Allal, membre des 22 était déçu ce 29 juin : il n’y avait pas foule au cimetière d’El Alia, situé dans la banlieue est d’Alger, pour la commémoration du 21éme anniversaire de l’assassinat de Mohamed Boudiaf.
Le même jour, de l’autre côté de la capitale, à Sidi Fredj, se tenait une convention nationale organisée à la mémoire de celui qui, selon les termes du président du RCD qui ouvrait la séance, « avait su rompre avec les tergiversations et les fausses solutions pour appeler le peuple algérien à prendre son destin en main en 1954 ». Ultime maillon d’une mémoire blessée, le vieux Allal a tenu à être présent à El Alia et Sidi Fredj.
Oubli et vénération, le combat de Mohamed Boudiaf est à l’image de la lancinante question qu’il avait posée dès 1963 et qui angoisse autant qu’elle stimule.
Dans une conjoncture marquée par une communication ubuesque sur la santé d’un chef de l’Etat incapable de décider par son propre arbitre et dont le système joue comme d’une potiche pour amuser la galerie, le temps de retrouver ses marques, nombre d’Algériens s’étranglent de colère et d’indignation.
Où va l’Algérie ? Comment peut-on sauver le pays d’une gestion cataclysmique qui, finalement, aura tout dilapidé, tout hypothéqué : la ressource matérielle comme le capital symbolique, l’histoire comme l’avenir.
Au moment où les pays voisins s‘interrogent à haute et intelligible voix sur leur passé et cherchent leurs voies à travers des débats ouverts et souvent douloureux, le pouvoir algérien, persuadé d’échapper à la marche du monde et à l’éveil de son peuple, ruse et s’enferme dans des conclaves pour tester ses recettes de sorcière. Quelle est la marge de manœuvre en matière de fraude ? Quel serait le canasson le plus corvéable ? Par quels moyens et comment enfumer l’opinion ?…Sur la scène internationale, Alger essaie de se convaincre que la prolongation de la tragédie syrienne, compliquée par les hétérogénéités culturelle et confessionnelle et la manipulation sino-russe, est une preuve que les régimes de sectes fondés sur la rapine, le clientélisme et l’opacité ont encore du temps devant eux.
Où va l’Algérie ? Combien de temps le FRR ( fond de régulation des recettes ) et le sous-sol pourront-ils entretenir une gestion maffieuse dans un marché énergétique contraint par la récession économique mondiale et l’exploitation de ressources non conventionnelles et, à terme, de toute façon, menacé voire condamné par la recherche active sur les énergies renouvelables ? Quelle chance de survie laissera-t-on alors à une Algérie minée par une organisation tribale du pouvoir, une misère sociale qui laisse sur le bord de la route la majorité de la population et la disqualification de toute forme d’autorité ?
Oui, la question de Boudiaf posée en 1963 s’invite dans tous les échanges avec plus d’acuité et d’incertitude. Cependant, en formulant son interrogation au lendemain de la guerre, l’homme du CRUA, qui n’était pas homme à renoncer, signifiait que la direction imposée au pays par le clan d’Oujda n’était pas la bonne ; disant implicitement qu’il fallait en emprunter d’autres. En reprenant son interpellation un demi-siècle plus tard, les Algériens expriment une résignation ou en tout cas un désarroi et une impuissance car, en fait, ils redoutent de ne plus voir d’issue.
Où va l’Algérie ? La question est aussi posée par une catégorie d’acteurs qui feignent de ne pas savoir ce qui se trame pour s’exonérer de leur responsabilité et, le cas échéant, escompter quelques dividendes de leur fausse naïveté.
Comment oser feindre l’incompréhension sur les choix du régime quand chaque jour que Dieu fait nous donne des exemples sur ce que concoctent des « décideurs » qui ne visent ni plus ni moins qu’à maintenir en l’état le pouvoir, c’est-à-dire la poursuite de la politique du brigandage et du bâillon.
Qui peut feindre de ne pas avoir constaté qu’une fois une pression suffisamment forte exercée sur le clan adverse, le DRS a mis en sourdine ses relais médiatiques sur tous les scandales financiers, à commencer par sonatrach et l’autoroute est-ouest ? Chakib Khellil vaque tranquillement à ses nouvelles occupations, Amar Ghoul se voit promettre une rallonge de mille kilomètres d’autoroute et le revenant Benyounes a réduit le ministère de l’environnement à la commission des marchés à laquelle le docile Ainouz donne la liste des entreprises à retenir sous le regard placide et intéressé ? du colonel du DRS affecté dans ce département ; car il faut le rappeler, spécificité algérienne, les services de renseignements disposent d’un colonel dans chaque ministère. Non pas pour empêcher les prévarications mais pour les noter et les exploiter si jamais un responsable venait un jour à vouloir retrouver sa liberté de parole ou d’action.
Comment feindre de ne pas voir ce que prépare politiquement le pouvoir quand, pour ne parler que de ces deux étalons de la prédation, les services de renseignements leur ont créé ex-nihilo des partis sur des modèles, pour le moins, originaux: le TAJ ayant réussi l’exploit, probablement unique dans le monde, de disposer d’un groupe parlementaire après des législatives auxquelles il n’a participé ; le MPA, propulsé troisième force du pays en quelques semaines, occupe, de loin, le fauteuil de leader du championnat de la concentration de casiers judiciaires parmi les formations algériennes qui n’étaient pourtant pas dépourvues en la matière.
Comment feindre de ne pas comprendre la stratégie du pouvoir dans son implacable volonté à désinformer quand les « télégates » agréées ou tolérées sont systématiquement confiées à des délinquants, des véreux ou des opérateurs économiques douteux. Toutes ont reçu la même mission : diffamer, désinformer, provoquer. La dernière en date, Numidia, a annoncé la vielle de la convention du RCD que la salle où devait se tenir la rencontre était mise sous scellés. Il a fallu que le parti concerné fasse une mise au point sur son site pour rassurer les participants sur le maintien de la manifestation.
Le mouvement qui se profile dans le corps diplomatique n’échappe pas à la reprise en main des grands commis de l’Etat par la caporalisation.
D’autres décisions prises ou à venir participent toutes de la même approche : corrompre, frauder, désinformer.
On peut dire que l’on ne se bouge pas parce que l’on a peur. On peut se satisfaire de la situation actuelle parce que l’y on trouve son compte. On peut même reprendre, dans le sillage du pouvoir, certains de ses slogans expliquant que sans la trique et le fric les Algériens se mangeraient entre eux. Bref, on peut tout dire sauf de faire semblant de ne pas savoir.
Alors que faire ?
La question posée par Mohamed Boudiaf dès 1963 n’était pas l’expression d’un affolement et encore moins d’un renoncement ; c’était un appel à la lutte.
Rachid Bali
7 juillet 2013
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