Hors du cas de Oum El-Bouaghi et pour toute l’Algérie, ces trois acteurs sont soudés par l’usage d’un latin de domination (l’arabe classique, langue morte) qui sacralise le discours politique et délégitimise le discours de revendication, repousse le citoyen dans la marge de la plèbe (on dit de l’algérien que c’est un dialecte pour garder à l’arabe son statut de langue sacrée); puis par l’usage de la force et l’usage de la religion et l’usage de la légitimité historique (version non imprimée de l’acte de propriété cadastral sur la terre).
L’alliance est forte, solide et méfiante: si on enlève à cette caste l’usage de l’arabe, elle vous frappe et vous excommunie. Si vous lui enlevez le monopole de la religion, elle vous traite de Hizb França et d’hérétique. Si vous lui contestez la propriété de la terre, elle vous tue. Si vous lui refusez le monopole sur l’histoire nationale, elle vous traite de traître. Le régiment est soudé sur ses propres intérêts, instinctivement, sans besoin de le dire: dans le cas de Aïn El-Beïda, les féodaux locaux (administrateurs ou notables tribaux ou clients du régime) ont utilisé les imams pour stigmatiser les chômeurs et des milices pour les frapper, rapporte les journaux. Il ne manque que la fatwa (annoncée) de: «celui qui se soulève contre le régime se soulève contre Dieu». Fatwa connue en Arabie Saoudite et à l’époque de la papauté de l’Europe du Moyen-Age. Le régime central n’a même pas besoin de demander, c’est le régime local qui se charge de la basse besogne, par logique de zèle et d’intérêts communs. Ou par logique de sécurité: les habitants ont peur du chaos qui détruit le fief et les chaumières et l’ordre céleste.
Donc, derrière les mots (Constitution, régime, politique, élections, république), le schéma est celui d’une féodalisation accélérée du pays: les castes supérieures sont soudées par le besoin de domination et le souci de la propriété. Domination linguistique et religieuse et de légitimité guerrière. Pour la première, l’usage de l’arabe classique impose le statut d’infériorité aux plébéiens, aux serfs, aux paysans et refoule l’algérianité dans les marges honteuses et déclassées. L’usage de la religion immobilise les foules, les culpabilise et impose le dictat des imams (clergé), des «Savants» et des interdits. On vous parle arabe pour vous interdire de comprendre et de répondre et on vous parle de l’islam pour vous faire taire. L’usage de la guerre de Libération vous culpabilise d’être né «après», comme un lâche ou un parasite.
Dans le cas de Aïn El-Beïda, cette alliance est devenue visible: religion, féodaux et milices sont passés à l’acte contre des «paysans» en colère, nus et venus d’ailleurs. On est dans le remake des jacqueries, ces révoltes paysannes contre la noblesse, de la France du 14e siècle. L’autorité de l’Etat étant faible, le pays se féodalise et devient des fiefs.
Extrait du dico à lire absolument: «La féodalité est un système politique ayant notamment existé en Europe entre le Xe siècle et le XIIe siècle, dans lequel l’autorité centrale s’associe avec les seigneurs locaux et ceux-ci avec leur population selon un système complet d’obligations et de services. Le terme féodalité est issu du latin médiéval feodum, «fief», qui vient probablement lui-même du francique fehu, «bétail», et/ou du gotique faihu, «argent, possession».»
Fascinants mots clefs.
6 juillet 2013
Kamel Daoud