Parce qu’il s’agit de poser une question que tous évitent : le lien qui doit être codifié entre entreprise, administrations, espaces publics et religion. On doit, tôt ou tard, discuter du cout du ramadan sur l’économie algérienne, sur le comportement religieux algérien au détriment des heures de travail payées, et des codes de l’espace public qui permettent de construire une mosquée sur un trottoir et exige des permis de construire pour tout autre chantier. On n’est pas encore arrivés aux «demandes confessionnelles» qui se posent aux entreprises occidentales faces aux religions (le journal français Libération y a consacré un intéressant dossier hier), mais on est déjà aux signes ostentatoires de la foi dans l’espace du travail : sandales de plastiques et pieds mouillés dans les entreprises, les aéroports, les bureaux, tapis de prières étalés sur les dos des chaises, absences imposées pendant les heures de permanence qui coïncident avec les heures de prières etc. Et un jour ou l’autre, il faudra s’y intéresser et en parler avec audace : prier n’est pas travailler et l’espace public n’est pas le salon de la maison et les affichages des «islamiseries» sont aussi illégaux que des appels partisans dans des bureaux de postes.
Sauf qu’il ne s’agit pas seulement d’un débat sur le respect de la loi et des espaces communs, mais du signe profond d’une misère intime des âmes et des croyances : la religion tombe dans ses propres préhistoires quand les peuples retombent dans l’usage des reliques. Aujourd’hui, en Algérie, comme ailleurs, l’islam sert à tout : se cacher du monde, attaquer le monde, tuer le monde, quitter le monde ou enjamber le monde. Les «islamiseries» sont un commerce, une psychologie mais aussi le produit dérivé du wahabbisme, son argent et son Royaume : Cela nous vient de l’Arabie saoudite, des imprimeries subventionnées, des chaines satellitaires de propagande religieuse et cela s’insinue, entre dans les esprits chancelants, envahit l’espace comme des criquets insonores et repousse la culture locale, ses signes, rites et codes vers la marge de «l’innovation maudite» (EL Bid’âa).
La religion étant un choix de Salut et pas une méthode pour ne pas travailler, «personnaliser» l’espace public ou s’absenter ou fermer des entreprises pendant tout un mois. Fatigué donc des commerces fermés pendant les heures des prières, des guichets en «absence» pour virées à la mosquée et des entreprises en berne à cause du jeûne. On a interdit l’usage de la religion pour la politique, on devrait interdire l’usage de la religion pour justifier les paresses et pour décorer les murs des bureaux.
6 juillet 2013
Kamel Daoud