Les trois étant presque contents : l’imam qui a prêché au nom de Dieu, le chef de daïra qui a concocté, le notable qui dépend des deux : du ciel et du miel. Il fallait y penser. Alger l’a rêvé, Aïn Beïda l’apporte : une répression avant la manifestation. Un rassemblement de chômeurs empêché par des chômeurs. Dieu est Grand. L’imam est heureux : il passe de prêcheur à empêcheur. C’est l’alliance sacrée entre le seigneur féodal, le prêtre, le vassal et l’autorité du prince central. Mais l’imam ne le savait pas. Ni le chef de daïra, ni le délégué de la sécurité, ni le téléphone du secteur. Pas la peine : on n’a pas besoin de lire des livres pour apprendre à mâcher. Le village est calme et il y tient : pas d’étrangers en Algérie, même algériens. Les gens ont peur, craignent la fin du monde, la géhenne, Dieu, les impôts et le chaos. Le chaos, c’est l’anti-Christ des moyens âge modernes. Il pollue les puits, désordonne les saisons et les récoltes, provoque la peste et la sécheresse et attire la colère de Dieu. « On n’en veut pas », dit l’imam à la foule pendant le vendredi. On est bien chez nous qui n’est pas chez eux. Les chômeurs venus d’ailleurs ont donc erré un peu dans la rue, personne ne voulut leur vendre de la nourriture ou du foin, les fenêtres étaient méfiantes et les portes tournaient le dos aux chaussures des arrivants. « Le Nord est plus vide que le Sahara », se dit Tahar Belabbès, le leader des Chômeurs. Il renifla puis repartit avec un générique de fin de film dans le dos de la veste. « C’est juste un épisode d’un long feuilleton », murmura-t-il avec confiance. Puis la nuit est venue. Et avec elle la matraque, les cris, les coups de pied et les agressions. Les chômeurs d’Aïn Beïda ont bien « travaillé » contre les chômeurs venus d’ailleurs.
Au matin, les étrangers étaient partis.
Aïn Beïda était saine et sauve. Son minaret, son imam, son chef de daïra et ses paysans effarouchés par la fin du monde. Seul problème, les chômeurs d’Aïn Beïda : ils se sont retrouvés du coup au chômage. Rien à faire quand il n’y pas d’ennemi (un problème qui s’est posé à la nation après le départ des colons français). Le chômage était redevenu cruel et vide. On n’avait rien à faire contrairement à l’imam, au chef de daïra, au délégué de sécurité, au téléphone et au chef de secteur. On pouvait chasser des chômeurs, mais pas le chômage. La révélation fut douloureuse.
Une nuit, une idée germa : allons au Sud manifester près du pétrole, dit l’un des chômeurs d’Aïn Beïda. « Oui, mais tu sais, les chômeurs de Hassi Messaoud sont peut-être comme nous », dit un renifleur. « Oui. Et donc ? », dit le meneur avec son bâton. « Et bien, je ne sais pas », répondit un Aïn Beïdi.
Mais tout le monde savait.
6 juillet 2013
El-Houari Dilmi