On croit que parler de la vacance du Pouvoir, du téléphone de Saïd, d’une Présidence qui tourne à vide et d’un régime, sont un sport de spéculation et des redondances de chroniques et on se trompe : hier à Alger et dans d’autres centres d’examens du bac, il y a eu «émeutes»
de candidats et certains parlent «d’autorisation de copiage» par des profs qui avaient peur d’un effet de rue. La raison ? Surréaliste dans un pays qui vit selon les normes : les candidats rejetaient le sujet de philosophie jugé trop dur, ou n’ayant pas été enseigné. Du coup, comme on le fait partout en Algérie quand on associe le droit et le pays du «bras», il y a eu colère, soulèvements et débordements et excès. La mentalité ANSEJ, l’effacement des dettes des Fellahs, l’argent gratuit, Val-de-Grâce, la logique du «on me paye pour que je ne casse pas, donc je casse pour qu’on me paye», la déliquescence de l’Etat et des valeurs, ont conduit à cela : le pays fonctionne par la force et la menace. Le bac est jugé dur ? On se soulève pour l’annuler ou obtenir le droit de copier. C’est l’Algérie moderne: un pays où tout est gratuit donc rien n’a de l’importance. On prend le maquis, on tue puis on redescend et on vend du sable et on se fait téléviser sur Echourouk TV pour raconter sa vie d’Emir de l’AIS. On détourne de l’argent puis on va où on veut et on traverse les murs et les enquêtes et rien n’arrive. On prend des prêts et on ne les rembourse pas et rien ne se passe. On prend une plage et on se la privatise. Un ascenseur, une rue entière, un budget ou une wilaya pour sa fille et rien n’arrive. On triche et on n’est pas puni en politique. C’est alors que l’on revendique l’égalité dans le droit à la tricherie. C’est alors que l’on peut se révolter contre une épreuve de philosophie parce que jugée trop dure, c’est-à-dire pas facile, c’est-à-dire que ce n’est pas une épreuve ANSEJ, un milliard gratuit, un prêt non remboursable. Tout s’obtient par la menace de l’émeute et donc une réponse à un sujet de bac aussi. Tout est traficoté et malhonnête et gratuit, une épreuve de bac aussi.
La gestion du pays par la psychologie ANSEJ a détruit le sens de l’effort, la justice, la notion de sanction et de valeur, et elle a atteint le concept sacré de l’épreuve: pourquoi me demande-t-on de faire un effort dans un pays où tout est gratuit et où tout s’obtient par la violence ou par la ruse ? C’est donc le sujet du bac face à la génération ANSEJ. Le nouveau ministre de l’Education aura beau à faire: il avait contre lui 50 ans de socialisme, trente d’arabisation, une décennie de terrorisme, deux de Benbouzidisme et vient de s’y ajouter trois ans d’ANSEJ. Presque tout a été détruit en termes de valeurs et d’institutions dans ce pays. Des urnes au bac.
Comme une entreprise-vengeance menée par un homme qui n’a pas pardonné.
5 juillet 2013
Kamel Daoud