Il a donc la bouche incroyable qui à la fois parle et mâche, produisant le mot qui mord et explique. Il a le teint de son drapeau. Il tourne le dos à sa terre et lui présente son ventre vide. Il est adossé au mur qu’il veut justement enjamber. Etrange posture qui donne ce corps qui fait mal et qui ne sait pas quoi faire de lui-même comme on le vit tous. Corps à cacher et corps à fuir. C’est donc le Héros national que la rue enseigne comme modèle et qui est offert comme une statue mentale aux générations déboussolées qui ne savent pas à qui ressembler en Algérie: au martyr, au voleur habile, au footballeur, à un député, un importateur, un wahhabite pantacourt ou à une coiffure d’été ? Rien dans les livres, dans la télé et dans les billets de banque, il n’y a que des animaux. Rien qui pousse un Algérien à vouloir ressembler à un autre Algérien. Les modèles du pays sont importés: on y propose de ressembler à un Suédois ou un arabe saoudien ou un Pakistanais. Les uns traversent la mer en chaloupes et d’autres le désert d’Arabie en tapis de prière. Donc? Il faut trouver et offrir des modèles et surtout pas dans les cimetières. Il faut revoir l’âge du président, le manuel scolaire, les gros et gras présentateurs de l’ENTV et les coiffures, les animaux des billets de banque et les affiches publicitaires. Il nous faut des héros. Car pour le moment, le héros algérien pour les Algériens est celui qui n’est plus Algérien justement. On est l’un des rares peuples narcissiques dont le but est de ne pas ressembler à lui-même.
Névrose: les Algériens n’aiment pas ressembler aux Algériens par Kamel Daoud
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5 juillet 2013
Kamel Daoud