Il y a une année, la chasse aux Bouazizi a été une réussite (presque) parfaite : plus de légumes, lunettes, sous-vêtements et épices sur les trottoirs. Plus de barbus squattant les jardins publics. Même les dos d’âne près de la fameuse villa de Yazid Zerhouni,
l’ex-ministre de l’Intérieur, ont été enlevé et la route (algérienne) rouverte aux Algériens. Mais une année après, on peut se poser la question : que sont-ils devenus ? Pour Zerhouni, on le sait : quelques mondanités à Oran et des apparitions calmes et une vie gentille et bio-dégradable. Et pour les autres ? On ne sait pas : certains ont pu intégrer la chaîne alimentaire, d’autres regardent l’air et d’autres ont survécu. Pour d’autres, cependant, c’est la désillusion, avec un papier signé par «l’Etat»: à Mostaganem, des dizaines de jeunes qui ont délogé d’une place publique (Le Carré) racontent au chroniqueur, dans un café gris, qui tourne autour de la terre en astre mort : «on nous a demandé de partir contre la promesse d’une local commercial dans l’immédiat. Début novembre 2012, on nous a donné des affectations pour des box dans le quartier Pépinière’». Et ensuite ? «Rien» : il s’agissait juste d’un bout de papier : les dits locaux commerciaux n’existent pas. «Juste de grands murs pour un hangar qui n’est pas encore construit». Statistiquement, ces jeunes ont donc été «intégrés», logés et reconvertis dans le commerce légal, la transparence. L’opération «Bouazizi» est une réussite et les chiffres de la wilaya le prouvent, même si des jeunes l’infirment. Sauf qu’il y a le réel après la virgule des chiffres heureux : ces dizaines de jeunes n’ont jamais eu les locaux promis, juste des bouts de papier signés par «l’Etat» et aujourd’hui, ils sont dans les cafés, assis où attendent assis dans leur tête. Ils sont coincés : faire de l’émeute est démodée et risque de leur faire perdre le bénéfice, même imaginaire, de ce local, mais ne rien faire n’apporte pas de l’argent à la bouche.
Cela se passe ainsi pour les grands budgets, les grands projets, le logement, les équipements : c’est l’effet boule de neige qui fond avec le temps. Plus la boule de neige roule du sommet vers la base, plus elle fond en liquide et s’en va en vapeur. L’effet boule de neige est dans le sens ascendant : plus on remonte les bilans par pallier, plus les bilans gonflent et deviennent des statistiques, puis des réalisations, des «Injazates» et des réussites. C’est vieux comme l’Administration et le mensonge, mais cela choque toujours de le découvrir en live, avec des exemples, dans son environnement, dans un café, avec des visages. Il fallait discuter avec ces jeunes pour comprendre leur désillusion et la terrible facture de l’Etat qui ment. Avec de l’humour en bonus : l’endroit où ils devaient être «relogés» s’appelle justement «Pépinière».
5 juillet 2013
Kamel Daoud