La situation actuelle en Egypte permet de poursuivre la réflexion sur un autre plan en abordant une autre question fondamentale pour la démocratie. Comment faire pour renvoyer celui qui a été élu sans attendre la prochaine échéance électorale ? Comment le faire sans succomber au piège des sondages et sans générer de l’instabilité au sein des institutions ? Mais commençons d’abord par une mise au point. Rappelons donc que le président égyptien Mohamed Morsi a été démocratiquement élu par les Egyptiens au terme d’un scrutin qui, de l’avis de la majorité des observateurs, a été le plus régulier de l’histoire de l’Egypte indépendante (ce qui ne signifie pas qu’il a été parfait, loin de là). Cela n’est pas chose négligeable. Si l’on respecte la démocratie, si l’on respecte les règles du jeu que cette dernière impose, on est obligé de reconnaître la légitimité de sa présidence.
Balayer cela d’un revers de manche au prétexte que l’on est un adversaire des islamistes et que l’on ne supporte pas leur présence au pouvoir, c’est adopter une attitude anti-démocratique et c’est se faire le partisan de scrutins censitaires où ne voteraient que les gens avec lesquels on serait d’accord. Des scrutins qui, par exemple, écarteraient les islamistes et leurs électeurs potentiels. C’est d’ailleurs ce dont rêvent, sans vraiment l’assumer, nombre de « démocrates » et autres « laïcs » dans le monde arabe. Incapables de peser politiquement et électoralement face aux islamistes, ils préféreraient des élections débarrassées de ces puissants adversaires et cela sous la houlette d’un arbitre suprême, c’est-à-dire l’armée (ou, plus rarement, l’Occident). Relevons au passage cette (fausse ?) naïveté qui fait croire que l’armée égyptienne va chasser Morsi pour remettre le pouvoir à son opposition. En leur temps, les éradicateurs algériens opposés à la victoire de l’ex-Front islamique du salut (FIS) ont cru la même chose, persuadés qu’ils étaient que le pouvoir les récompenserait d’avoir contribué à sa propre survie. On connaît la suite
Pour autant, il doit être possible d’exiger le départ de celui qui a été élu si l’on considère qu’il a failli et si une majorité l’exige. Trop souvent, le mandat électoral est assimilé à un blanc-seing, une sorte de chèque en blanc qui interdirait la moindre remise en cause. D’ailleurs, le monde politique n’aime pas trop aborder cette question du « recall », c’est-à-dire la procédure par laquelle les citoyens peuvent obtenir qu’un élu s’en aille avant la fin de son mandat ou, tout du moins, qu’il se présente de nouveau devant les électeurs. Exception faite de quelques pays, comme les Etats-Unis, le Canada ou la Suisse, le « recall » n’est guère ancré dans les mentalités alors qu’il a existé dès les premiers temps de la démocratie athénienne. En France, ni la droite ni la gauche ne veulent en entendre parler au nom de la nécessité d’éviter l’instabilité que cela peut générer. Il est vrai qu’un élu a besoin de temps pour agir mais cela ne saurait lui garantir une impunité totale et une sécurité absolue.
Il reste donc à savoir comment organiser et obtenir un tel rappel des électeurs. En investissant les places publiques et en recueillant plusieurs millions de signatures exigeant le départ de Morsi, l’opposition égyptienne a usé de deux moyens complémentaires mais aux conséquences et à l’efficacité différentes. Comme c’est le cas aux Etats-Unis, la collecte de signatures permet d’éviter le recours à des manifestations publiques et donc, in fine, à l’anarchie qu’elles pourraient provoquer.
Mais cette manière pacifique d’appréhender un « recall » est-elle possible pour des pays qui s’engagent à peine dans une transition démocratique ? En Egypte aujourd’hui, demain ailleurs, la capacité de précipiter les événements reste liée à la mobilisation de la rue avec ce que cela peut entraîner comme dérapages et manipulations. L’idéal, serait donc de disposer de moyens institutionnels d’encadrer le « recall » via, par exemple, des signatures déposées auprès d’un organisme indépendant (justice, Cour suprême, ).
C’est en cela que la situation égyptienne parle à la planète entière. Au monde arabe d’abord, du moins à celui qui est en mouvement comme c’est par exemple le cas en Tunisie (n’en déplaise à mes compatriotes algériens qui regardent la situation tunisienne avec beaucoup de dédain ). Mais aussi au monde développé où la rupture entre électeurs et élus est manifeste. Car, au XXIème siècle, la démocratie, c’est, entre autre, permettre au peuple d’élire librement ses représentants. Mais c’est aussi lui permettre de leur signifier leur congé quand il le juge nécessaire et cela sans avoir à attendre les habituels rendez-vous électoraux.
(*) La chronique du blédard : Des islamistes, du pouvoir et du nécessaire contre-pouvoir, Le Quotidien d’Oran, jeudi 6 juin 2013
4 juillet 2013
Akram Belkaid: Paris