Un ministre durable et une école précaire, voilà le résultat d’une catastrophe que l’on refuse de nommer.
Baba Ahmed est tombé dans la souricière. Ces 66°/° des candidats qui n’ont pu accéder à la réussite de leur Bac, veulent passer pour être la résultante de tout le processus scolaire durant les quatre années du cycle secondaire. Seule la terminale a vu l’actuel ministre officier à sa supervision. Sinon tout le reste n’était pas de son ressort. Lui, pouvait-il arguer qu’il n’a récolté que ce que l’on a semé, en son absence depuis longtemps. C’est justement ce » long temps » que l’on doit analyser.
C’est sans doute le stigmate d’un homme qui a trop duré à être ministre. Il était plus vieux que l’école qu’il prétendait avoir recréé. L’histoire se passe là, chaque jour, défiant à l’aveuglement nos yeux. Présente, elle se dicte par défaut. L’homme, bel homme d’une élégance digne d’un livre de beaux- arts, ses yeux scintillaient comme du papier canson, sa tête haute comme le mausolée de Moscou sur la Place rouge, ne s’amollissait pas devant le temps et semblait heureux d’avoir affronté les siècles et dompté l’éternité. Il avait dans les trippes d’énormes concepts pétris dans les réformes journalières que seule sa propre réfraction arrivait à rendre lisibles tous les vocables empruntés à l’alphabet yougoslave, scandinave ou de Jules Ferry. Les essais sur la pratique scolaire, tellement répétés et ressassés, ont fini par faire perdre toute bonne pensée sur une classe, un classeur, un élève ou un instituteur.
Qu’Il est démentiel, cet accoutrement dont se pare la réforme scolaire chez nous. D’un palier à un autre, l’élève est comme dans un nuage, il n’arrive plus à se situer dans la lourdeur de son cartable. Baba Ahmed parle du cartable numérique, au moment où l’informatique n’est pas garanti en enseignement à tous les échelons et dans toutes les contrées. Les cahiers mal quadrillés y côtoient les manuels bourrés d’imprécisions lorsque l’amputation d’un fait historique fait bouleverser l’ordre de l’histoire. Le comble aurait été commis quand l’amnésie se voulait faire place dans la déchirure d’un couplet, sans qui la révolution n’aurait pas eu d’adversaire, ni encore pu identifier son bourreau. L’erreur est monstrueuse lorsque dans une feuille d’examen le candidat y écrit par SMS et s’apaise du savoir infus de son Bluetooth lui assenant à distance de quoi remplir son angoisse.
Si l’école peut s’apparenter à un immeuble et un portail, en quels termes alors pouvons-nous définir le lycée ou l’université ? Le premier ne peut être que cette même école, une grande infrastructure à la différence qu’elle est destinée aux adultes. L’université n’est cependant qu’un gros budget pour tout le monde. Surtout pour l’Etat. L’Education nationale a été de tout temps partagée entre le scepticisme, la doctrine et la réalité. La tendresse que l’on semble lui dévouer sans artifice s’est vite déflorée à la mesure des tenanciers conjoncturels d’une époque, d’un régime ou d’un caprice. Ce secteur névralgique dans la constitution physique du pays donne la physionomie d’un manque d’âme et d’animation. Faisant parfois dans l’agitation stérile, comme un malade vertical, tenu en souffrance pour cause de lucidité, il sursaute d’une humeur d’un pouvoir à l’envie d’un ministre. Cette pathologie est née, certes, dans un environnement presque inhospitalier et moribond qui ne cesse de s’affirmer en gangrenant tous les segments cellulaires du corps social. La crise est dedans. Dans le cerveau catalyseur.
La crise qui nous transperce a eu le dessus sur l’ensemble de nos actuels ministres. Quel est, dites-vous, le secteur qui s’en trouve quelque peu épargné ? La responsabilité d’un ministre n’est pas une simple responsabilité citoyenne. Quoique l’étant par la force de la légalité, elle ne peut être uniquement passible de juridictions. Elle est censée à juste moralité, être une responsabilité nationale, engendrant dans son passage tout une vie temporelle d’une nation. Il n’appartient pas au juge du coin de coincer un ministre. Il peut le faire cependant dans le sens où cette responsabilité qualifiée juridiquement » du fait personnel » ou du » fait d’autrui » ou même » du fait des choses « . Dans cette honte du Bac 2013, le ministre n’a pas été juste. Il a blâmé les candidats tricheurs sans pour autant rechercher le mobile de la fraude. Personne n’a à soutenir la contrefaçon de bacheliers.
Mais à quoi aurait servi le changement dans le portefeuille ministériel de l’éducation nationale si ce n’était pas cette obligation didactique d’ajouter une valeur supplémentaire à la crédibilité d’une école en voie de pourrissement ? Le taux de réussite avoisinant les 44/ n’est pas un honneur pour cette école. Il se peut qu’il arrive, ce taux à satisfaire le nouveau locataire, faisant ainsi passer cet examen pour un réel test, établi dans la stricte vérité scientifique. Il voulait aussi, peut-être, dire par cette vertigineuse descente, que l’échec est bel et bien dans la faiblesse des candidats, voire dans leur formation tout le long, le très long cycle scolaire. En somme nous croyons par déduction que l’année prochaine le taux de réussite dépasserait les 58/ (un peu plus que 2012) ce sera un rachat, non pas pour les candidats mais pour une image ternie au premier examen d’un homme croyant ne pas être rompu aux p’tits calculs politiciens.
Et puis cette nouvelle mention de » a triché » c’est de la pure foutaise. Car un candidat qui est censé avoir triché est exclu sine-die de toutes les épreuves. Une notification de cet acte répréhensible lui est signifiée par procédure de Pv de constat dument consigné et porté à sa connaissance. Soit on ne peut concevoir une tricherie qu’unilatéralement. Même dans le pire des crimes, l’acte d’accusation est porté à la connaissance du présumé coupable. En fait d’examen la fraude, si elle entraine l’exclusion, elle n’engendre pas par conséquent la correction des copies et partant l’intéressé est carrément porté hors listing. Mais à voir une mention » a triché » devant un nom et prénom, ne peut être qu’une débandade. A la limite nous comprendrons qu’il s’agirait d’un autre calcul allant dans le sens cachotier de la gestion du scandale.
Alors que faire ? Se rassembler pour rien dans la rue ? Partir en justice ? C’est vrai ; la sanction d’un ministre ne doit pas trouver son issue dans les parois d’une justice. Il lui faudrait un autre emprisonnement. Dehors. Il doit sortir de cette identité ministérielle pour aller vers un anonymat originel. Une libération vaudrait pour lui toute une tempête de remords et de brutalité. Il aura à connaitre les affres de la stupidité que l’on rencontre dans la rue, à la télé ou dans les media, une fois sorti du costume et des belles chemises. Dans l’état actuel de l’école publique, la grève qui l’aggrave commence à être perçue comme un excès dans l’usage de droit. Elle frôle l’abus de pouvoir de part et d’autre. L’équation est ainsi tripartite. Il y a le ministre, l’enseignant et l’élève. Le premier est indifférent, le second est entêté et le dernier est un pauvre irréfléchi. Si le ministre, le monde le dit, devra réfléchir sur le comment il sera sommé de partir avec ou sans préavis, il incombe cependant à cet enseignant toujours rebelle et revanchard de bien refaire ses comptes. Quant à l’élève, il suit l’inconscience avec sa blouse, son gel et ses écouteurs. L’on ne voit plus l’instituteur, ce maitre d’antan agir et faire ses cents pas à la recréation et entrainer l’émerveillement des bambins. Il était un modèle, un exemple. Il ne fumait jamais en classe, encore moins oser demander un à son rejeton d’éteindre son mégot quand il ne sollicite pas un autre de lui fournir une sèche. Il lui arrivait par moment d’user d’une pipe qui n’avait à dégager non sans fumée que cette personnalité pleine de philosophie et de goût savant à l’appréciation de la vie.
Ce maître savait brillement se vêtir par son veston en tweed, son pantalon velouté ou son tee-shirt molletonné. Le tout emballé sous un caban que finissait une belle écharpe en laine soyeuse. Il n’avait pas dans la tête, le vœu d’un bel appartement LSP ou un lot marginal qu’une dalle inachevée lui faisait omettre les devoirs, la correction et la bonne note. L’enseignant d’antan donnait le tonus à l’acharnement des études. Il suscitait l’envie d’être come lui. Il produisait une folle ambition de vouloir un jour lui ressembler. Existe-t-il en ce jour des modèles d’enseignant à suivre ? Oui, mais Rares sont ceux continuent à faire rêver leurs apprenants. Bien au contraire, quelques-uns provoquent le désir de l’école buissonnière, ils font fuir l’esprit de cet enfant du corps de ce même enfant qui s’immobilise en classe à cause d’un règlement intérieur inouï. L’essentiel serait dans la présence matérielle de la masse en chair et en os, c’est tout. Peu importe l’évasion de la concentration et de l’assimilation.
A raisonner de la sorte, nous allons considérer nos collèges comme des prisons à des horaires fixes. Alors que dire de la crédibilité de notre enseignement ?
Quand un ministre envoie ses enfants ailleurs qu’en l’Algérie, quand le directeur de l’Education fait faire à ses enfants des cours de soutien, quand des enseignants font ce soutien après l’école à leurs élèves dans des garages, des sous-sols, des vides-sanitaires, quand les parents s’empressent à payer en groupe ou en heure ces vacations hors-la-loi ; que reste-t-il à la crédibilité ?
Ainsi, l’histoire dira qu’à cette époque, il y avait un ministre qui ne dépensait son temps, aux dépens du temps que dans le dénouement des crises, le gel des grèves, le calcul des salaires, la lecture des journaux ou le choix de ses cravates mais très peu dans la pédagogie, la didactique et le futur scolaire. Il sera remplace par quelqu’un d’autre, tout niais dans le semblant, indécis devant les impasses et inerte dans le devoir d’assurer une justice dans une tricherie collective. Ce même ministre qui, bien avant la proclamation des résultats affichait une précaire réjouissance faisant rêver que le taux serait fortement appréciable » eu égard que l’année n’a pas été trop bousculée, n’a pas connu de longues grèves « . Il y a aussi des enseignants, voire des militants-enseignants qui consommaient leurs efforts loin de la rédaction de cours ou de fiches de leçons mais s’employaient à l’affiche, au slogan et aux mots d’ordre. Pourtant le parti FLN n’est plus preneur de candidats à puiser sur les estrades. L’histoire retiendra en toute amertume le calvaire non ressenti, de ces écoliers pris dans la tenaille violente que guetterait la déperdition ou l’oisiveté.
On verra en conclusion, un petit enfant regarder son instituteur, frêle et émoussé, cheveux dépeignés, visage à fleur de peau, brandir un papier tenant lieu de fiche de paye et l’autre bien beau, sans rage lui assener un silence garni de cris lointains. L’écolier médusé se débarrasse à son bon plaisir de son trousseau et de son bout de tablier et part tout joyeux vers la boue, le cybercafé ou s’entasse dans l’abri des cages d’escalier.
Pour ce qui est encore de la débâcle bachelière de cette année, le ministre n’a même pas pris la peine d’animer la conférence commentant sa version. Renvoyée à un Directeur d’office impliqué techniquement dans la chose, la conférence de presse n’a pas dit tous les sous-dits de l’affaire du Bac 2013. Pour répondre à l’interpellation à qui doit-on imputer cet échec, la réponse est toute faite.
4 juillet 2013
El Yazid Dib