L’histoire médiatique algérienne a collé au sociologue Addi Houari, l’un des hommes les plus lucides de notre planète algérienne, la réduction d’un concept qui a été longtemps raillé par la propagande des années 90 : la régression féconde. Tellement et si bien que l’expression a occulté le reste de sa pensée sur le rôle de l’intellectuel et a mis en marge la réflexion universitaire algérienne sur l’islamisme quand elle n’est pas redondance du politique ou de la surpolitisation abusive. Et pourtant, c’est cette expression qui revient à l’esprit quand on observe l’Egypte : ce pays qui passe, lui aussi, par l’utopie islamiste, en fait les frais mais s’en réveille à moitié. Certains ont donc très vite retrouvé les similitudes de notre trauma : des islamistes qui gagnent des élections, une armée qui veut les déloger, la guerre. Choix insoluble entre une légitimité des urnes qui conduit à la catastrophe de la vie et le putsch salvateur qui promet, en théorie, la sauvegarde de la nation avant de la confisquer. L’équation se résout généralement par la violence, la mort et le massacre : l’islamiste devient terrorisme et la démocratie devient anti-terrorisme, on meurt longtemps puis on revient à la vie avec des « disparus », des pertes de libertés, des dictatures policières, la peur et la perte de l’envie de vivre. On connaît. Dans l’équation égyptienne, il y a de l’équation algérienne. Une grande partie du peuple égyptien qui a pris conscience que la Confrérie est une secte et que l’islamisme est un utopisme qui ne se mange pas et n’apporte pas le bonheur. Et c’est peut-être la plus-value de la révolution égyptienne par rapport au « pustch » contre Chadli chez nous : la liquidation éventuelle, possible, entamée au moins de l’islamisme comme offre politique. Dans la rue de l’Egypte, ils sont des millions et dans le comité national pour la sauvegarde de l’Algérie, ils étaient quelques dizaines de membres et plusieurs numéros de téléphone avec quelques parrains. L’armée intervient en Egypte après le soulèvement et mise sur un sentiment de rejet immense, populaire et authentique. Dans notre cas, le CNSA a servi trop directement une hiérarchie militaire et sera contaminé très vite. Sa solution était technique et elle nous laissera un pays en guerre et une illusion islamiste encore forte et une alliance entre conservateurs qui piège le pays. C’est le courant moderniste qui a le plus perdu en Algérie, et pas le régime et encore moins les islamistes devenus plus calculateurs et plus conquérants. Dans le cas de l’Egypte, il y a peut-être de l’espoir. On voudrait tant croire à un moment d’Histoire qui révèle que l’on n’est pas condamné à espérer le choix entre le malaria et le choléra. Le soulèvement contre les islamistes est important, inédit, puissant et intervient après un moment de grâce offert aux islamistes sortis gagnants des urnes pour qu’ils montrent le henné de leur main. Peut-être que pour une fois cela arrive et que deux ans après avoir démontré que l’on peut chasser les dictateurs au nom de la « nation », on peut chasser ceux au nom d’Allah. Rien n’est sûr en politique, tout est complexe au point de décevoir l’enthousiasme, mais le chroniqueur aime rêver d’une époque où l’on comprendra que Dieu est le choix de l’âme, pas de l’épée et que la religion est choix individuel, pas une « solution » collective et que l’Islam est une religion, pas une chamelle pour un remake des Foutouhates.
3 juillet 2013
Kamel Daoud