Il est bien loin le temps ou le brillant et jeune énarque Laurent Fabius, alors premier ministre français, allait acheter en pantoufles ses croissants tôt le matin chez son boulanger et se rendre ensuite aux réunions de Matignon au volant de sa 2 CV Charleston. Depuis, les années ont passé, les épreuves de la vie aussi. Un retrait forcé de la vie publique pour cause d’alternance au pouvoir et une candidature avortée aux primaires du parti socialiste français. Un parcours émaillé cependant de succès personnels. Un travail colossal pour concevoir et rédiger le programme du parti socialiste français écartelé entre motions, contributions, courants, etc., la formalisation des propositions du candidat vainqueur aux dernières élections présidentielles, quelques productions littéraires de qualité et une gestion efficace d’un patrimoine personnel qui depuis a fait de l’homme l’un des plus fortunés ministres du gouvernement actuel. Depuis son retour aux affaires et son intronisation à la tête du Quai d’Orsay, le timide Fabius s’est métamorphosé en tonitruant personnage s’exprimant à propos de sujets internationaux sensibles du moment et allant parfois jusqu’à s’attribuer amicalement le rôle de porte-parole officieux d’autorités de pays souverains parfois frileuses et maladroites quant à la communication à adopter à l’endroit de leurs propres opinions publiques. C’est de bonne guerre et il faut porter haut la voix de son pays qui risque de devenir inaudible surtout dans une scène médiatique squattée non seulement par les puissants du moment mais aussi par de nombreux pays émergents devenus turbulents et qui commencent à faire de l’ombre et à faire de plus en plus parler de soi. La crise syrienne a constitué, après la partition malienne, le baptême de feu du personnage qui ne manquera sans doute pas de saisir l’opportunité de ses nouvelles fonctions à la tête de la diplomatie française pour se forger cette expérience internationale indispensable et qui pourrait être utile en 2017. Comme partout ailleurs dans le monde, l’âge n’est plus un handicap pour penser à briguer la magistrature suprême. L’espérance de vie, les progrès de la médecine et les qualités intrinsèques permettent de nourrir les ambitions les plus légitimes. Mais comme dans toute fonction que celle de ministre des affaires étrangères, les faits et gestes ainsi que les propos tenus sont observés, épluchés, égrenés et analysés. Ainsi, plaider pour une intervention militaire internationale en Syrie et apporter les éléments de preuve inhérents à l’utilisation d’armes chimiques dans ce pays (l’exemple Irakien et le faux prétexte des armes chimiques invoqué pour occuper ce pays par les armes et le détruire a semble-t-il été déjà oublié), les propos exprimés à propos de l’Iran à l’issue de l’élection présidentielle qui vient de s’y tenir et l’allusion à peine voilée à la destruction des sites nucléaires de ce pays souverain apparaissent comme des appréciations maladroites qui ne tiennent pas compte non seulement de la montée en puissance de l’Iran mais aussi des effets collatéraux sur toute la région que pourrait induire, par exemple, une opération militaire conduite avec Israël et les Etats-Unis contre un pays qui aspire légitimement à maitriser le nucléaire civil ainsi que d’autres technologies de pointe (comme celles de la maîtrise des lanceurs, de l’électronique de pointe et de la conception de drones, etc. ) traditionnellement réservées aux plus puissants. Des sorties médiatiques précipitées qui suscitent parfois le courroux de certaines capitales comme Moscou ou Pékin, gênent d’autres comme Washington pourtant à la tête de toutes les expéditions punitives conduites à travers le monde et font désordre dans un pays ou la diplomatie a élaboré ses fondamentaux sous le règne du Général de Gaulle au sortir de la seconde guerre mondiale. Et s’il y a bien un sujet sensible a propos duquel Laurent Fabius ne s’est pas encore exprimé, ni engagé, c’est bien celui des droits du peuple palestinien à disposer d’un état national dans des frontières internationalement reconnues, au retour dans leurs foyers de millions de réfugiés en errance depuis 1948 et de la cessation de la politique de fragmentation des territoires palestiniens conduite par Israël qui veut rendre caduc tout projet d’état national palestinien. Cette question extrêmement sensible et symbolique constituera sans aucun doute l’enjeu et l’examen de passage d’un homme politique de gauche qui n’est pas connu pour son inféodation inconditionnelle à Israël et qui pourrait si ses actes sont conduits dans le sillon de la politique traditionnelle arable de la France et de sa spécificité soutenir la construction d’un espace de paix notamment dans le bassin méditerranéen au profit de l’ensemble des peuples de la région. Et les propos et autres performances médiatiques à propos de conflits périphériques et conduits à l’image de son prédécesseur sous l’ère Sarkozy, Bernard Kouchner, pourraient apparaître comme une volonté de faire place nette à la politique de liquidation en cours du peuple palestinien.
23 juin 2013
Salim Metref