Entre défis, turbulences et incertitudes, l’Algérie est à la croisée des chemins. Les turbulences vécues par notre voisinage immédiat nous sollicitent et peuvent, comme dans la posture du sauveteur face au noyé, nous faire sombrer. Un contexte interne fébrile qui peut lui aussi s’embraser pour de légitimes questions de survie mais que beaucoup attendent aussi et surtout pour nous porter l’estocade fatale. Mais ce pays renferme pourtant en son sein l’énergie et l’intelligence nécessaires à son redéploiement et à sa survie. Mais pour tisser la trame de notre propos, inspirons nous de la sagesse de nos sublimes régions. Le Touat décidemment, Bechar, Kenasdsa ne cesseront jamais de nous étonner. Ces belles contrées algériennes font parler d’elles non seulement pour les merveilleux paysages qui les caractérisent mais aussi pour les têtes bien faites et surtout bien pleines qui y ont vu le jour. Ecrivains, peintres, musiciens, poètes, conteurs et autres troubadours natifs de ces lieux produisent ainsi profusion d’idées lumineuses qui nous séduisent et qui confirment que le sud recèle en son sein non seulement de précieuses richesses naturelles et une incommensurable lumière mais aussi des gisements insoupçonnés d’imagination. Et ce personnage qui s’est avéré un serviteur acharné de la protection de la terre. Devenu célèbre en héritant de son village natal un goût prononcé pour les choses simples et un ancrage immense au terroir, son œuvre colossale continue de séduire à l’ombre d’une idée géniale, fondatrice et jamais démentie, incarnée par ce lien ombilical et charnel qui lie l’homme à la terre nourricière comme peut l’être l’entêtement légendaire d’un pied de vigne à s’incruster dans le sol. Cette terre, sublime don du ciel sans lequel tout ne serait plus, n’en peut plus de nous nourrir et de nous abreuver et s’épuise de notre gaspillage et de notre frénétique appétit. Mais beaucoup d’entre les humains continuent encore de mourir de faim ! Son plaidoyer pour un retour à une vie simple, harmonieuse et respectueuse de l’environnement mérite notre attention. Un concept sain et salutaire prônant la retenue et la modération dans l’usage des ressources pour ne pas en affecter la pérennité et pour permettre aussi aux générations futures de pouvoir en bénéficier et d’en faire bon usage. Mais au delà de la dimension philosophique et existentielle d’une œuvre et du parcours du personnage qui pourraient ne pas nous interpeller, il reste ce fabuleux plaidoyer pour la prudence et la modération qui ne peut que nous séduire. Et cette conviction prémonitoire énoncée avec conviction. Désormais, la plus haute, la plus belle performance que devra réaliser l’humanité sera de répondre à ses besoins vitaux avec les moyens les plus simples et les plus sains. Cultiver son jardin ou s’adonner à n’importe quelle activité créatrice d’autonomie sera considéré comme un acte politique, un acte de légitime résistance à la dépendance et à l’asservissement de la personne humaine (I). Mais que peux donc nous inspirer ces propos face aux multiples défis que nous devons à court terme relever ici en Algérie? Bien que notre territoire soit immense, avec probablement des richesses naturelles non explorées importantes, nous restons tributaires des ressources que nous possédons et de celles dont l’existence est prouvée. Certains experts nous prédisent une réduction drastique et à court terme de nos réserves énergétiques avec tout ce que cela peut engendrer comme conséquences extrêmement graves en termes de baisses de revenus financiers, de déficit de production d’énergie aggravée par l’absence de source alternative et de maitrise technologique (solaire, etc.), de ralentissement du développement économique et social, de génération de troubles internes et de conflits civils, etc.. D’autres données et statistiques aussi têtues qu’inquiétantes nous confirment et révèlent que nous ne sommes pas encore autosuffisants sur le plan alimentaire et que nous n’arrivons toujours pas à produire la nourriture qui nous est nécessaire pour vivre. Nous restons donc tributaires des fluctuations d’un marché de l’alimentaire (céréales, lait, poissons, viandes, huiles, etc.) devenu extrêmement spéculatif et qui pourrait nous être bientôt inaccessible et sommes toujours dépendants de ce que nous pouvons encore acheter avec les ressources financières générées par notre pétrole et notre gaz. Nous devons donc désormais pour espérer sortir de cette spirale infernale de la dépendance alimentaire de l’étranger développer un nouveau modèle économique dont la colonne vertébrale serait, à défaut de disposer d’une industrie florissante génératrice d’emplois et de ressources financières et d’un secteur tertiaire articulé autour d’une recherche appliquée féconde et innovante, une agriculture capable de produire au moins ce que nous consommons. La question de l’autosuffisance alimentaire deviendra une question de souveraineté nationale d’autant plus que les excédents disponibles actuellement sur le marché se réduiront à l’avenir. Si ne nous ne disposons plus des ressources financières nécessaires pour pouvoir encore lever sur le marché les quantités gigantesques de produits alimentaires que nous consommons, nous pourrons être exposés à court ou moyen terme aux problèmes de sous-alimentation et même de famine. Cultiver donc son jardin pour créer son autonomie est donc plus que jamais une urgence vitale, un électrochoc nécessaire et indispensable à notre propre survie ! Nous ne disposons toujours pas d’une économie réelle et nous sommes passés sans transition d’un modèle économique prétendu généreux qui nous a amputé les bras et ankylosé le cerveau, à un modèle économique qui nous a scié les jambes et coupé le souffle. Le premier à sclérosé l’effort individuel, anéanti la créativité, inhibé l’imagination et créé les conditions de la pénurie pour mieux installer les effets conjugués de l’oisiveté, du gain facile et de la banalisation des comportements de corruption et le second a décrété, en guise de perfusion à un corps malade et puisque nous pratiquons le modèle d’économie de marché dans son aspect le plus hideux de sauvage et de prédateur, de le vider du sang qui lui reste. Nous sommes en situation d’hémorragie et l’Algérie continue de se vider de ses ressources et de sa substance. Ainsi la dilapidation des richesses, la consommation effrénée sans équivalent de production interne et avec l’absence cruelle d’une économie de substitution, le gaspillage endémique, l’épuisement des ressources et la fuite des cerveaux sont désormais les premiers signes annonciateurs d’une chute annoncée. Nous produisons des quantités abyssales de rejets (toutes catégories confondues) dont nous ne savons que faire sinon les entreposer à ciel ouvert dans d’immenses étendues devenues méconnaissables et nous ne maîtrisons aucune filière de traitement ou de recyclage des déchets. Les questions environnementales induites non pas un quelconque effet de mode mais plus par la pression des problèmes de santé publique qu’elles pourront provoquer à court terme si elles n’étaient pas résolues engendreront une véritable catastrophe nationale qu’il faudra non seulement combattre mais vaincre. Et nous n’en sommes hélas qu’au début. Notre système de santé se meurt et nos hôpitaux sont devenus de véritables mouroirs. Des maladies d’un autre âge, oubliées et que l’on croyait disparues commencent à ressurgir et les pathologies les plus lourdes sont de moins en moins bien prises en charge. Notre médecine libérale qui soigne surtout les plus aisés es et qui s’installe dans de somptueuses structures ne peut, comme partout ailleurs dans le monde, constituer une alternative à l’impératif d’un service de santé publique performant et respectueux des malades qu’il faudra inéluctablement reconstruire. Il s’agit là aussi d’une question de souveraineté nationale mais aussi d’une exigence humaine et sociale. Peut-on attendre des efforts de ceux qui sont privés de soins ou qui ne peuvent, par manque de ressources financières, y accéder ? Notre école, désarticulée par les luttes d’influence et malmenée par la fonte et la refonte des programmes, a fini par oublier ses missions fondamentales d’éducation et de transmission du savoir et des connaissances. Elle est devenue sinistrée et a commis l’impair d’oublier de rendre hommage même à nos valeureux anciens instituteurs partis à la retraite dans l’anonymat et sans aucune reconnaissance! Et puis tout le reste. Les urgences sociales, politiques, économiques qui ne peuvent plus attendre. Et tout est tellement lié et imbriqué que seules la conjonction des efforts et la convergence des idées pourront prendre en charge. Les défis qui nous attendent sont immenses et les véritables défis commenceront à se manifester. Nous devons sortir, que nous le voulions ou pas, de l’enfantillage et des caprices de l’adolescence. Plus que jamais, nous aurons besoin pour survivre de toutes les intelligences. Embarqués sur un même navire, nous sombrerons tous ensemble si l’entêtement dans l’erreur n’abdique pas devant le règne de l’intelligence et de la raison. La cause n’est pas perdue mais elle doit être entendue. Et nous serions bien inspirés de voir d’où nous sommes venus et de comprendre que rien ne nous sauvera, excepté Dieu, pas même ceux qui nous encensent ou qui gardent précieusement dans leurs pays l’argent parfois mal acquis que certains d’entre nous y ont déposé. La nouvelle année qui vient ne nous fera pas de cadeaux et ne nous étonnera donc pas. Elle sera sans nul doute et à bien des égards porteuse des mêmes espérances et s’articulera autour des mêmes exigences politiques, sociales, économiques que celles de l’année qui la précède. Avec sans doute des interférences de plus en plus inquiétantes induites par un contexte régional devenu imprévisible et turbulent. Le prix du baril du pétrole a certes encore de beaux jours devant lui et viendra encore une fois à notre secours et les ressources financières que pourra encore espérer engranger l’Algérie seront sans aucun doute cette fois-ci aussi substantielles. Mais jusqu’à quand devrions-nous rester suspendus au cours de l’or noir ? Les exigences de liberté et de justice seront comme de tradition intenses et s’accompagneront de fortes revendications sociales et salariales, exacerbées il est vrai par une baisse drastique du pouvoir d’achat de larges pans de notre population et un appauvrissement endémique de nos villes et de nos campagnes. Nous devrons impérativement trouver les bonnes réponses aux bonnes questions. Celles qui prendront en compte non seulement les réminiscences de notre passé et les questionnements qu’elles soulèvent, qui doivent être entendus, mais aussi les résurgences incessantes de cette quête de liberté qui partout dans monde se fait pressante et qui ne peut se suffire de réponses évasives ou de promesses jamais tenues. Il ne s’agira plus de gagner du temps, car nous risquons plutôt d’en manquer. Le mal pourrait être bénin si la volonté politique de changement transcendait les querelles de personnes, cet égo qui nous fait tant de mal, pour laisser place à la clarté d’une ambition qui continue de briller de mille feux, celle de la construction d’un grand pays enfin rassemblé, qui se projette vers l’avenir et qui a conscience de ses atouts et de la puissance qui pourrait être la sienne. La richesse supposée de l’Algérie ne laisse pas insensible ceux qui ne rêvent aujourd’hui que de nous piller et pire de priver notre peuple d’en jouir au quotidien et d’accéder au niveau de développement humain qui lui échoit et auquel il peut légitimement prétendre. Cette menace qui est réelle et qui peut revêtir les aspects les plus inattendus doit nous faire adopter le principe de précaution. Nul ne nous aime pour ce que nous sommes mais juste pour ce que nous possédons au jour d’aujourd’hui et qui pourrait ne plus exister demain. L’Algérie est un pays immense qui suscite les convoitises. L’immensité de son territoire reste inexplorée et pourrait regorger, malgré les appréhensions de certains experts, d’immenses richesses naturelles qui pourraient se substituer à moyen terme à tout ce que représente actuellement la région du golf arabique. La production énergétique diminuera sans aucun doute mais cela serait du, selon d’autres spécialistes, non pas à l’épuisement des ressources potentielles existantes mais plus au coût élevé de l’exploration de nouveaux périmètres qui remplaceront l’essoufflement des gisements actuels. Et les regards inquisiteurs risquent donc de se porter encore une fois vers notre pays et les scénarios les plus macabres nous concernant sont sans aucun doute et à notre insu déjà concoctés. Les dangers sont réels et de nouveaux conflits pourraient s’enclencher à nos frontières mais aussi dans la région. Et ces menaces potentielles nous imposent, plus qu’elles pourraient servir de prétexte au statu quo comme pourraient continuer de le croire et à tort certains, plus que jamais l’urgence de la véritable reforme politique qui reste encore à faire qui doit susciter l’adhésion de tous y compris de ceux qui, l’Algérie toujours au cœur, vivent sous d’autre cieux. Sans sursaut salutaire, nous risquerions, du fait de notre manque d’imagination et d’initiatives, d’hypothéquer l’avenir de notre pays qui dispose d’atouts considérables et dont on ne doit plus jamais ajourner l’émergence. Il ne s’agit plus aujourd’hui de sauver un système politique qui a atteint ses limites, qui visiblement s’essouffle et qui est plus à plaindre qu’à blâmer et dont le pronostic vital semble probablement déjà engagé et encore moins un modèle économique obsolète et vorace que de construire dés maintenant et de manière pacifique une Algérie nouvelle, rassemblée autour de tous ses enfants, et dont le socle serait la justice, la liberté et l’équité. Notre histoire l’exige et notre pays le mérite. Nous conclurons en paraphrasant un ancien diplomate qui anime avec d’autres intellectuels algériens un mouvement qui milite pour un changement pacifique et graduel en Algérie : «si le toit de la maison doit tomber, qu’il ne tombe surtout sur l’Algérie car elle est trop précieuse »
(I) Pierre Rabhi, La sobriété heureuse
29 décembre 2012
Salim Metref