LA LIBANAISE HODA BARAKAT LIVRE AVEC SON NOUVEAU ROMAN, LE ROYAUME DE CETTE TERRE, QUI VIENT DE PARAÎTRE, UNE FABLE COMPLEXE SUR LES HEURS ET MALHEURS DE SON LIBAN NATAL.
Jeune fille, elle a grandi dans les années 1960 entre Beyrouth et Bsharée, le village natal de Khalil Gibran. La romancière libanaise Hoda Barakat se faisait souvent tirer l’oreille par sa mère parce qu’elle passait des heures entières à lire. «Ce n’est pas la vraie vie», lui disait alors sa maman pour l’arracher à ses lectures. Mais toutes les tentatives de Madame Barakat mère se sont révélées vaines. Non seulement, elle n’a pas réussi à détourner sa fille de son passe-temps favori, mais ses interdictions ont poussé cette dernière à devenir romancière. Une romancière de talent qui, recevant il y a quelques années un prestigieux prix littéraire du monde arabe, a pris le contre-pied de sa mère pour affirmer que la vraie vie se trouvait peut-être dans les romans, tant ses personnages lui semblaient parfois plus vrais que les hommes et les femmes de chair et de sang qui lui servent de modèles ! «Combien de villes y a-t-il sous la ville, père ?» Auteur de cinq romans, trois pièces de théâtre et un recueil de chroniques, Hoda Barakat est considérée par la critique comme l’une des voix les plus originales de la littérature arabe contemporaine. Elle a publié son premier livre de fiction en 1985, en pleine guerre civile libanaise. Depuis, elle a quitté son pays et vit en exil à Paris. C’est là qu’elle a construit son œuvre singulière, magnifique d’interrogations, de déchirements et de nostalgies. Une œuvre consacrée aux heurs et malheurs de son pays. Beyrouth est au cœur de l’imagination fictionnelle de Hoda Barakat. C’est une ville déchiquetée de l’intérieur, rongée par ses tensions communautaires. Elle est la métaphore du mal de cohérence dont souffre le pays. Le Liban cherche désespérément dans son histoire des modèles pour son renouveau. C’est dans son troisième roman, Le Laboureur des eaux, que Barakat a saisi avec acuité la dimension tragique de cette quête. Notamment à travers les questionnements du personnage principal du roman, un vendeur de soieries dont le magasin a pris feu. Face au néant civilisationnel auquel il est confronté, l’homme interpelle ses ancêtres. Dans le microcosme du Mont-Liban Dans son nouveau roman, Barakat n’a pas campé son récit à Beyrouth mais dans la région du Mont-Liban dont est issue sa famille maronite chrétienne. Peuple de montagnards frustres et frondeurs, les maronites sont emblématiques de la tension qui a opposé les entités claniques et confessionnelles qui composent le Liban à l’idéal national. A travers la vie et le destin des petites gens dont la famille Mouzawaq, la romancière raconte la lente montée de la violence au sein de cette communauté. La guerre civile de 1975 en sera le dénouement logique. Le roman s’ouvre sur la mort atroce d’un père de famille piégée par une tempête de neige et dévoré par les hyènes. Une mort à l’ombre de laquelle, le récit va être pris en charge alternativement par les deux enfants du défunt, Salma et Tannous, qui racontent les péripéties de leur existence, tantôt tragique tantôt burlesque, avec en toile de fond, la montée des égoïsmes et sentiments ataviques qui taraudent les protagonistes. Selon les critiques littéraires qui ont eu accès à ce livre en version originale, c’est-à-dire en arabe, sa plus grande réussite est la richesse de son idiome. Mêlant l’arabe classique et la langue parlée localement, Hoda Barakat a, de son propre aveu, poussé très loin cette recherche linguistique qui constitue une dimension majeure de son œuvre de romancière. «Un roman ne se réduit pas à son intrigue, aime-t-elle dire. Son véritable sujet, c’est le travail sur la langue que fait tout écrivain digne de ce nom.» T. C. Le Royaume de cette terre de Hoda Barakat. Traduit de l’arabe par Antoine Jockey. Actes Sud, Paris 2012, 350 pages
23 décembre 2012
LITTERATURE