Qu’est-ce qu’un bain de foule ? C’est un moyen de se laver de la solitude par la multitude. Seul les régimes personnalisés ont en la passion et les moyens, généralement. Pour le reste, c’est seulement une corvée pour les passants. Donc à Tlemcen, Bouteflika va offrir ce qu’il aime le plus, à François Hollande : pas un tapis, un cheval, un puits, des clefs mais un bain de foule.
Des gens ramenés de loin, par bus, voitures et convocations, pour meubler le bain de foule. Chirac y a eu droit à Oran, mais en plus naturel, plus spontané (quoique le mot spontané, dans les régimes policiers, a mauvaise réputation). A Alger, on offre les clefs d’Alger à Hollande qui offre les clefs d’une Renault à Oran. Revenons au sujet : le bain de foule. Que va-t-il signifier ? On ne peut pas y crier « vive la France » car on sait tous pourquoi. Ni « vive Hollande » car il s’agit d’un autre pays qui ne nous a rien fait, promis, pris ou refusé. On ne peut pas crier « Vive Bouteflika » car ce n’est pas le but du bain de foule mais le but du 4ème mandat à venir. Ni « vive l’Algérie » car De Gaulle est mort depuis longtemps et l’indépendance, quelques décennies après lui. Le bain de foule de Tlemcen n’est pas destiné à exprimer l’amour, ni la haine, ni l’histoire, ni l’avenir. Seulement une sorte de musique agréable pour le cœur, un bel accueil strident. Le sens le plus exact serait, peut-être, la démonstration de force et de popularité : mon peuple m’aime tellement que je peux lui faire aimer qui je veux, par simple ramassage par bus : Voyez-le ! S’il vous acclame c’est parce qu’il m’aime. C’est un bain de foule pour Hollande mais une réélection pour Bouteflika.
Le bain de foule est justement le contraire de l’effet de foule. Cela prend tout son sens avec les révolutions dans d’autres pays voisins : là, la foule lynche, chasse, mange, déboulonne. Ici, on démontre que la foule aime, vient de loin et applaudit. Ailleurs, le bain de foule est une douche froide, en somme. Donc ici non. Il vous acclame et donc il m’aime. La guerre est finie, le printemps « arabe » est fini, Sarkozy est fini mais moi je suis là. Le plat pays qui est vraiment le mien. On peut bourrer des urnes, mais aussi des foules. Mais passons. Le bain est là : il est, n’est pas, destiné à affirmer que la France et l’Algérie ont tourné la page mais à affirmer que Bouteflika est une page que le peuple ne veut pas tourner. Par démonstration de foule. En France, un président français peut-il offrir un bain de foule à un président algérien en visite ? Possible, sauf que là-bas les mandats sont limités. Cela n’aura pas le même sens.
20 décembre 2012
Kamel Daoud