Depuis que la terre est ronde, le monde a marché sur la tête et les pyramides ont fini par s’inverser. Les enfants ont perdu leurs rêves et l’odeur des champs leur est devenue inconnue. Les forêts ont en partie disparu et l’eau douce s’est raréfiée. Et les hommes ensanglantent toujours la terre qui ne donne désormais plus assez de fruits. L’eau qui vient souvent nous inonde et charrie avec elle de longues sécheresses. Les saisons s’entre-déchirent, s’entremêlent et ne laissent transparaitre qu’un timide printemps. Les poètes ne se font plus entendre et à Alger les chardonnerets ne nous enchantent déjà presque plus. Le désarroi habite l’humanité et la malédiction l’habille. La terre, plus souvent que d’habitude, tremble de ses entrailles et secoue les chaumières habitées de nos habitudes. Et ne reste plus que l’énergie du désespoir, les sourires carnassiers de ceux qui ont déjà tout pris et tout confisqué. Et qui souillent l’honneur des plus humbles. Mais avant qu’un jour l’affront ne soit lavé et à l’aube des incertitudes, la soixantaine en bandoulière, perdu dans la foule et désemparé par ce qu’il voit et ce qui l’entoure, un homme assis au seuil d’une mosquée, emmitouflé dans son vieux pardessus, fait son mea culpa. Au vent qui se lève, il décide d’avouer ses fautes avant qu’il ne soit trop tard, avant de mourir et de mériter peut-être la lumière. L’histoire remonte aux siècles derniers ou l’on savait encore le soir conter la mémoire des ancêtres et évoquer les anciens et le jour se battre pour l’honneur et mériter son pain. Les blessures sont déjà profondes et les plaies encore ouvertes. L’amertume le prend à la gorge et la respiration devient difficile. C’est que le gâchis est immense. Immonde. Les belles révolutions conduites par les justes sont toujours détournées. Elles enfantent souvent la misère et dévorent leurs meilleurs enfants. Et la perversion des choses atteint des sommets. Un jour peut-être, s’interroge-t-il, les chemins oubliés et la quête du sens seront-ils retrouvés? Puis, recroquevillé sur la douleur qui le ronge, il écarte d’un revers de la main les souvenirs d’une vie qui assombrissent l’horizon et ce sourire narquois de l’incommensurable fragilité humaine qui vous fait plier l’échine. Au vent qui passe et qui ne l’attends plus, il avoue n’avoir reçu en guise d’héritage qu’une solide éducation forgée dans le socle du respect d’autrui, de la quête de la perfection dans le travail accompli et de l’effort incessant, inlassable et toujours reconduit pour les autres. Il affirme aussi cette recherche assidue de l’école, des connaissances puis cet accès au savoir. Il confesse n’avoir jamais volé, ni violé, ni confisqué la part du pauvre. Il prétend s’être contenté de si peu et confirme son penchant pour la lecture et son indifférence à l’égard de l’argent et de son pendant, la jouissance aveugle sans limite et insatiable. Il jure n’avoir jamais dilapidé les biens d’autrui, ni corrompu personne et ni l’avoir jamais été un jour. Il ose dire n’avoir toujours eu que Dieu pour unique maître et pire offense, n’avoir jamais invoqué nul autre protecteur. Il avoue encore que le savant est mieux que l’inculte, l’instruit que l’analphabète, la science que l’ignorance, l’honnête que le malhonnête et confirme avoir prêché la bonne parole, semé la droiture pour espérer cueillir la sagesse et appelé à la rectitude et au repentir. Il se relève et poursuit son chemin non sans avoir récité l’une de ses prières favorites, celle qui invoque Dieu et son souvenir qui apaise les cœurs. Il prie pour mériter Sa Clémence et reprend son chemin. La route jonchée d’obstacles et d’imprévus est encore si longue et la halte n’est plus permise. La bataille pour la vie est rude et vertigineuse et laisse sur la marge ceux qui n’ont en déjà plus envie. Et il faut se démener comme on peut. Mais la réussite a soudain une odeur nauséabonde et la richesse un air avili et mortifère. Il faut vite courir pour défaire ce que d’autres ont déjà noué. Et puis peut-être boucler la boucle et s’en aller, le ventre repu et la conscience lourde. Il s’avoue fatigué et ne veut plus continuer son chemin. Il devine les chemins escarpés qu’il ne veut plus parcourir. Non, il avoue et ose vouloir rester encore et toujours le même. Suprême délit, il affirme que la vie nous emprisonne et que seule la mort nous libère. Il relève la tête et entend le vent qui lui souffle à l’oreille le cri des mouettes. La vie aura toujours, dit-il, le goût du sel et l’odeur de la houle. Mais il désire encore vouloir mourir en honnête homme. Alors l’auguste qui qui fait ripaille entend les aveux du présumé non coupable. Les yeux hébétés, il hurle, vocifère et énonce qu’il mérite la pire des sentences. Et lourdement, le condamne.
14 décembre 2012
Salim Metref