NÉ DANS UN PAYS COLONISÉ, IL A ÉTÉ, DÈS SA PLUS TENDRE ENFANCE, INITIÉ À UNE RELIGION AINSI QU’À UNE LANGUE ÉTRANGÈRES À SON MILIEU D’ORIGINE ET À LA CULTURE DE SES ANCÊTRES. CE QUI EXPLIQUE SON ÉTERNEL EXIL.
Il n’a connu de son pays natal que la terre ancestrale dans toutes ses fortes connotations, la colonisation et la guerre de Libération. Amrouche était vivant et un participant actif à la révolution libératrice lorsque son père et sa mère sont venus en 1956 passer un séjour à Ighil Ali. A peine avaient-ils posé leurs pieds sur le sol natal qu’un attentat s’était produit. Le père avait été pris dans une rafle qu’il y eut tout de suite après pour être emmené dans le camp militaire pour y subir au même titre que les siens les pires sévices et humiliations. «Tu n’es qu’un bougnoule comme les autres», lui lança rageusement à la figure un soldat français chargé de parquer tous les hommes du village comme du bétail d’abattoir». Parlant de Jean Amrouche, dans sa préface, Tassadit Yacine, auteur de cet essai, dit de manière significative ce qui suit : «A-t-on compris ses tourments ? ses démons intérieurs ? sa quête de justice ? sa recherche des racines de son peuple ? je ne le crois pas !». L’éternel exilé est devenu un éternel oublié dans la période post indépendance de l’Algérie. Retour aux siens en tant que nationaliste et poète Il a fait du combat des Algériens pour l’indépendance, le sien aussi. L’engagement de J. Amrouche pour les causes justes est indiscutable. Sa poésie nous en donne les preuves. Toute sa production poétique qui a consisté à vérifier admirablement à la manière des grands poètes classiques français, s’inspirer du patrimoine algérien marqué par les traditions culturelles, l’héroïsme légendaire de ses compatriotes au long d’une histoire millénaire ainsi que du génie créateur. Jughurta a été pour lui, une figure emblématique qui a incarné la résistance à l’occupation étrangère. Aux yeux de tous les connaisseurs en histoire, Jughurta n’est pas seulement un symbole et une référence, mais un mythe en tant que brillant stratège et polyglotte. Pour Amrouche, «il s’est acoquiné à tous les conquérants, il a parlé le punique, le latin, le grec, l’arabe, l’espagnol, l’italien, le français et sa propre langue, le berbère». «L’éternel Jughurta», semble être le seul ouvrage écrit en plus des recueils de poème que Amrouche a consacré à notre héros national pour vanter ses mérites dans un style académique. Alors que le français n’était pas sa langue maternelle, il en a fait un moyen d’échange sur divers thèmes à caractère politique, historique, social, culturel pour des entretiens fleuves d’un millier de pays au total avec des sommités de la littérature avec André Gide, Paul Claudel, Giono. Les entretiens sont classés dans la catégorie des grandes œuvres littéraires. Jean Amrouche avait 5 ans en 1911 lorsque sa famille s’est installée à Tunis, ville qui a vu naître deux ans après, Taos, en 1913. Plus tard, il a fait de brillantes études à l’Ecole normale supérieure de Paris d’où il est sorti premier de sa promotion, mais étant donné ses origines indigènes, il a été classé deuxième. Après itinéraire atypique dans la langue française dont il avait acquis la maîtrise et dans l’espace, il a été le professeur de français d’un grand nombre de personnalités comme Albert Memmi qu’il a eu comme élève à Tunis. La particularité de Jean Amrouche est d’être resté fidèle à l’identité de ses ancêtres. C’est grâce à lui que sa sœur Taos a chanté les vieilles chansons dont la plupart remontent à des siècles en arrière. Taos leur a donné un rythme, un ton moderniste, mettant en valeur un contenu porteur d’une diversité de marques d’histoire millénaire de la Kabylie. C’est Jean El Mouhoub qui les a récupérés après les avoir recueillis auprès de sa grand-mère qui devait avoir une mémoire prodigieuse. Ces chants véhiculent toute la sagesse du peuple. «Si les plus beaux de ces chants sont graves et empreints d’une mélancolie poignante, beaucoup s’éclairent d’une gaieté légère et malicieuse», dit Amrouche rapporté par Tassadit Yacine. Une contribution à une meilleure connaissance de l’histoire de l’Afrique du Nord Nous sommes alors dans la période coloniale la plus difficile pour l’Afrique entière, l’Afrique du nord et l’Algérie. Les Africains des années de l’entre-deux guerres mondiales, voient se profiler à l’horizon des signes de changement. C’est la période au cours de laquelle sont sorties des bancs de l’école des élites capables d’analyser la situation à sa juste dimension. Ces élites sont de la trempe de Ferhat Abbes, Habib Bourguiba, Léopold Senghor. Ces intellectuels comme d’autres qui les ont précédés ou qui leur sont contemporains comme des milliers d’autres en Afrique ont hésité entre un langage hérité et un langage appris. Ce qui relève de l’héritage est en accord avec les génies du sol, le langage appris s’accorde avec tout ce que l’Africain moderne s’est assimilé de la civilisation chrétienne. Les œuvres écrites de cette élite ont permis la connaissance de l’âme africaine dans ce qu’elle a de plus spécifique et d’irréductible pour Amrouche. Les Africains devenus écrivains, avocats, médecins, artistes se sont fait les porte-paroles des masses populaires silencieuses, à travers des œuvres qu’ils ont fait l’effort de bien élaborer pour les rendre lisibles et compréhensibles à l’adresse des lecteurs de la nation de tutelle, la France colonisatrice. En faisant des études, ils ont beaucoup lu des poètes, des dramaturges, des romanciers français d’origine. Quelques-uns de nos Africains se sont laissés séduire au point de s’abandonner à l’assimilation, d’autres au contraire ont tiré de la langue de la littérature française les armes qui leur permis de marquer leur différence, d’exprimer leur identité dans la langue de Molière mais à coloration contestataire. Dans une page intitulée : «Tunisie 1947», on a réuni des textes de Amrouche pour leur portée historique. Les lecteurs d’aujourd’hui y trouveront un aperçu de la situation sociale de la Tunisie, ainsi qu’une révélation de la détermination politique de Amrouche à prendre position pour les dominés. Amrouche qui a fait de la Tunisie une seconde partie pour y avoir passé les meilleures années de sa vie avec ses parents, sa sœur et ses frères, avait senti le prélude à une prise de conscience aiguë pour la défense des Algériens à partir de 1945. Jean Amrouche ou l’éternel exilé, un choix de textes (1939-1950) réunis et présentés par Tassadit Yacine, est un plus considérable pour une meilleure connaissance de la famille Amrouche, de l’histoire de l’Algérie et de l’Afrique du nord. C’est d’une lecture agréable et enrichissante. Boumediene Abed Jean Amrouche ou l’éternel exilé, de Tassadit Yacine. Casbah Editions, 132 pages, 2012 .
11 décembre 2012
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