La raison de cet intérêt éditorial ? Anthropologie du politique : en Algérie, il est vrai que la dictature est molle. Le pays n’est pas un royaume de Moubarak mais surtout l’expression d’un curieux mélange technique : un Bouteflika au sommet enfermé dans un miroir, entouré de Bouteflikistes attentifs à son règne qui les nourrit. Des ministres qui « ministrent » et des corps constitués qui surveillent. Où est la dictature en Algérie ? Elle n’est pas, à proprement parler, à Alger mais dans l’Algérie qui l’entoure. La décennie 90 a enfanté une culture et des générations de potentats locaux qui fonctionnent parfois par alliances : un wali, avec son délégué de sécurité, les chefs des corps, des hommes d’affaires, des intermédiaires : une sorte de « main» qui fera et osera ce que Alger ne fait pas et n’ose pas. Un chef dans un village est plus dictateur, en Algérie, qu’un ministre ou un Général, à Alger. Les dictatures en Algériesont locales : elles s’entretiennent, se soutiennent, organisent l’omerta et la complicité. L’affaire du « Bungalow 33 » est presque impossible à ficeler ouvertement à Alger, c’est une pirouette dans les wilayas profondes et les petites daïras. Les dictatures locales s’organisent dans un rapport de servilité mais aussi d’autonomisation vis-à-vis d’Alger et du pouvoir central. Au ministre ou à l’inspecteur qui se déplace dans le baronnât local, on lui sert ce qu’il veut et peut entendre.
Après son départ, la confrérie s’organise selon ses intérêts, en attendant la prochaine «visite d’inspection et de travail». La fraude électorale s’explique aussi, en Algérie, par ce système de dictatures locales qui veillent au choix des maires affidés, plus que par une instruction centrale directe. Le plus grave est cependant, que ces confréries exercent maintenant presque ouvertement : dans un rapport d’égalité avec le «Centre». Avec la force de corporations fortes et solidaires avec lesquelles le Centre devra négocier. Que d’affaires de Fils de et d’amis de étouffées dans les petites villes. De véritables chroniques sur des dictatures locales avec père du peuple, coup d’Etat, vols, agressions, menaces et fraudes et monarchies réelles. Le Benalisme (avec femme et enfants et détournements) n’est pas une réalité nationale en Algérie. C’est une réalité locale, en mosaïques, décentralisée. C’est plusieurs bungalows, partout dans le pays.
11 décembre 2012
Kamel Daoud