Dimanche, 11 Novembre 2012 09:50
Par : Sara Kharfi
L’Histoire, sous la plume des dix-sept auteurs ayant pris part à cette publication, s’humanise avec des portraits intimes, des fictions pleines de poésie, des réflexions sans concessions et sans aigreur. Des récits où la date du 5 juillet est continuellement reformulée.
Sur certains emballages de parfum de la maison Guerlain, on retrouve une citation de Jacques Guerlain qui dit : “Un parfum réussi est celui qui correspond à un rêve initial.” Cet aphorisme est applicable à Ce jour-là (éditions Chihab, 650 DA) – recueil de textes écrit par dix-sept auteurs, qui racontent leur(s) 5 juillet 1962 – parce que justement chacun des textes correspond à un “rêve initial”, chacun des auteurs cherche à dire sa vérité, son 5 juillet. Noureddine Saâdi a réuni autour de lui seize écrivains (Malek Alloula, Maïssa Bey, Denise Brahimi, Alice Cherki, Hélène Cixoux, Abdelkader Djemai, Nabile Farès, Mohamed Kacimi, Arezki Metref, Badr’Eddine Mili, Rachid Mokhtari, Boualem Sansal, Leïla Sebbar, Habib Tengour, Mourad Yelles, Amin Zaoui), ayant un lien avec l’Algérie – ils y vivent ou y ont vécu -, pour raconter un évènement, un souvenir, une anecdote, une histoire ayant eu lieu, un certain jeudi 5 juillet, de l’année 1962. Sollicitant leur mémoire et leurs souvenirs, l’auteur qui a dirigé cette publication, explique dans son introduction que : “Cette journée du 5 juillet 1962 marqua profondément chacun de nous : non seulement ceux qui vécurent l’événement fondateur et dont la mémoire est encore tout émue, vivante, mais également ceux, plus jeunes, que nourrirent les récits et témoignages de la guerre dont la fin se confond totalement avec cette journée de liesse d’un peuple.” Classés par ordre alphabétique, les auteurs laissent leurs souvenirs parler pour eux. Mais pas seulement. Avec beaucoup de recul, et beaucoup d’émotivité, ils racontent l’indépendance rêvée, fantasmée et parfois trahie. L’Histoire, sous leurs plumes, s’humanise avec des portraits intimes, des fictions pleines de poésie, des réflexions sans concessions et sans aigreur. Des récits où la date du 5 juillet est continuellement reformulée. Le point fort de, Ce jour-là, réside dans le fait que chacun des auteurs explore ses thématiques habituelles, et continue de poser la poétique et les problématiques qu’on retrouve dans sa littérature. Malek Alloula, qui inaugure cet ouvrage avec son texte les “Fresques de ma mémoire”, revient, en filigrane, sur l’incapacité du langage à traduire la pensée, mais également sur l’incapacité de la mémoire à restituer les faits tels qu’ils ont été vécus. Notre mémoire est sélective, elle se joue de nous et c’est peut-être cela notre drame… ou pas. Les souvenirs du 5 juillet 1962 de Malek Alloula se confondent avec d’autres évènements, heureux ou malheureux, qu’importe, puisque le temps atténue toutes les douleurs et toutes les joies aussi. Alice Cherki raconte un souvenir dans J’y étais, celui des dernières semaines de la colonisation. Des semaines difficiles qui laissaient déjà entrevoir beaucoup de complications pour l’avenir. Mais le vent de liberté, qui soufflait sur l’Algérie, à ce moment-là, et bien avant ce jour-là, a tout emporté. Ce sentiment de désenchantement qui se traduit à la lecture du souvenir d’Alice Cherki, on le retrouvera également dans les textes de Badr’Eddine Mili (Ce jour-là, qui donne son titre au recueil), et de Boualem Sansal (“Le 5 juillet 1962, un jour triste et lent comme les autres”). Pour l’auteur de Rue Darwin, l’indépendance est un long processus, et la décolonisation n’a pas forcément impliqué la liberté. Hélène Cixoux, auteure du texte bouleversant, “Mon indépendance de l’Algérie”, raconte, un poil désabusée mais toujours avec une grande foi en l’avenir, les premiers mois de 1962, son père, l’Algérie colonisée, puis décolonisée, puis perdue, puis rêvée…, en concluant : “Comme c’est bon de croire toute une journée que le monde va devenir meilleur et même bon.” Ce jour-là décrit sans amertume, mais avec beaucoup de réalisme, une date “qui fixe, écrit Noureddine Saâdi dans son introduction, un évènement irrémédiable de l’histoire, une ‘trace’ (…) des histoires vécues ou inventées – qu’importe ! — qui fonctionnent comme des souvenirs-écrans, ces images fixes qui toujours, un jour, ressuscitent et se disent, s’écrivent…”
S K
7 décembre 2012
LITTERATURE