Mardi, 13 Novembre 2012 15:49
Par : Sara Kharfi
L’auteur semble nous signifier que la révolution est récupérée par les esprits malins, et non par les personnes qui la font. A la faveur de ce récit conscient, Habib Ayyoub décrit avec mesure les passions humaines, et le rapport, si complexe entre le pouvoir et l’Homme.
Comment né, grandit et meurt -ou s’étouffe, restons optimiste !- une révolution ? Qu’est ce qui fait qu’un jour, une population décide d’exprimer sa colère, de se soulever contre un ordre établi ? Comment un groupe d’individus décide de se révolter ? La mécanique de la révolte est décrite de manière explicite dans le récit, «le Remonteur d’horloge» d’Habib Ayyoub. Un court texte, paru à l’automne 2012, dans lequel l’ironie de l’auteur de «l’Homme qui n’existait pas» atteint son point culminant. Pourtant, dans les premières pages, difficile pour le lecteur de déceler le vrai du faux, le réel de l’illusoire, la réalité de la fiction. «Le Remonteur d’horloge» est l’histoire de la population de Sidi Ben Tayeb. Une bourgade calme, peuplée par des habitants sans histoires et crédules, appelées les «Sidibentayébains». L’inertie qui caractérise le village est rompue à l’annonce de la visite officielle d’un haut responsable. Les rêves des Sidibentayébains quant à l’amélioration de leur niveau de vie s’évaporent lorsque l’horloge du village, datant de la période coloniale, se détraque. Un coup du sort ? Un mauvais œil ? Une manipulation orchestrée par des rivaux ou des ennemis ? L’émoi laisse place au désespoir, mais le maire «de carrière» essaie de ressouder sa population avec des discours enflammés et tente de trouver une solution à ce «drame» qui s’abat sur des gens qui n’ont jamais fait de mal à personne. Commence alors une comédie burlesque, où les idées et les personnages se succèdent. Habib Ayyoub dénonce les travers et les tares de ses personnages avec humour, notamment l’hypocrisie, la langue de bois, la roublardise, etc. Il dessine également le portrait des Sidibentayébains, parangon de la société algérienne qui vit dans l’attente. L’attente d’un salut, d’un changement, d’une vie meilleure, ou d’un déclic. Ce déclic engendrera une explosion, un soulèvement, mais les belles idées qui ont motivé et nourri les Sidibentayébains sont récupérées, par le maire (encore lui !), qui reformule son discours. L’auteur semble nous signifier que la révolution est récupérée par les esprits malins, et non par les personnes qui la font. L’intellectuel, représenté dans ce récit satirique par Hadj Ali Kader (dit Kouider), océanographe et fils du S/G de la mairie, est non seulement exploité (pour son idée), mais en plus mis à l’écart. La vie reprend son court à Sidi Ben Tayeb, mais à quel prix ? A la faveur de ce récit conscient, Habib Ayyoub renoue avec son humour grinçant, et décrit avec mesure les passions humaines, et le rapport, si complexe entre le pouvoir et l’Homme. L’horloge, une métaphore sur le temps, participe également à l’explication de la mécanique de la révolte : La situation de l’attente est rompue par le problème de l’horloge. Lorsqu’elle se détraque, cela signifie que le temps est venu pour que les Sidibentayébains prennent leur destin en main. Mais lorsqu’on ne respecte pas le temps, il s’arrête…encore une fois ! «Le Remonteur d’horloge» qui se rapproche, à bien des égards, du pamphlet, est un récit sur la désillusion. Cependant, Habib Ayyoub n’arrive pas prendre de la distance par rapport à son objet, et ne réussit pas à cacher sa déception qui se traduit par une fermeture du champ des perspectives. Bien qu’il exprime une profonde tendresse pour ses personnages, il pose un regard pessimiste sur leur avenir.
S.K
• «Le Remonteur d’horloge» d’Habib Ayyoub. Récit, 120 pages. Editions Barzakh. 400DA.
7 décembre 2012
LITTERATURE