Vingt ans plus tôt, il s’agissait de nous. Mais avant Internet, avant les satellites, avant l’image et le son et dans la solitude: Octobre 88 avait été volé par le Fis, écrasé par l’Armée puis lentement défait par les années 90 et le retour du régime à sa place. En Egypte, cela ne semble pas suivre cette voie. Le plus intéressant reste cependant ce pronostic déjoué: les anti-islamistes, de tous bords n’ont pas été défaits et ne baissent pas les bras devant la «Confrérisation » de leur pays et la mise en place d’une dictature religieuse califale. Ils se battent, encerclent leurs encerclements et étonnent un peu, les lectures définitives par pierres tombales interposées.
La Tunisie a inventé le printemps «arabe», l’Egypte semble inventer la post-révolution permanente. Quel fait se passe-t-il donc en Egypte ? Les élites se mobilisent contre un nouveau régime qui se met en place. Une sorte d’iranisation du pays avec un Président «religieux», une confrérie qui joue au gouvernement de l’ombre, un numéro 1 des «Frères musulmans» qui s’installe dans le rôle de l’Ayatollah Guide suprême comme le fait Ghannouchi en Tunisie. Les islamistes démontrent, dans ces deux pays, ce qu’ils pensent du pluralisme, de l’Etat républicain, des libertés civiles. Ils y démontrent qu’ils ne peuvent pas «jouer» le jeu de la démocratie mais seulement l’utiliser pour accéder au Pouvoir. Ils y prouvent, pour ceux qui n’ont pas compris, que le projet final n’est pas un Etat fort mais un émirat religieux destiné à rejouer l’utopie imaginaire de l’âge d’or et de la Médine prophétique. Le Pouvoir, ils ne peuvent pas le rendre ni le partager parce que pour eux, c’est Dieu qui le leur a donné, pas les électeurs. La mise est énorme donc en Egypte : ce pays, ses élites progressistes, de gauche ou pas, peuvent prouver que l’on entre dans le post-islamisme ou que cet islamisme va vaincre par la logique de la force. Dans les deux cas l’Egypte prouve que les islamistes sont un danger: dans le maquis ou dans les institutions. Que le Califat est une arnaque. Que la fin du monde n’est pas pour demain. Qu’un barbu n’est pas l’envoyé de Dieu. Que c’est possible. Et quand la religion devient trop collective, le pouvoir devient aussi trop personnel.
6 décembre 2012
Kamel Daoud