Le Prix Nobel de la Paix, un des distinctions internationales les plus prestigieuses, est décerné chaque année par l’Assemblée nationale Norvégienne à la personnalité qui » aura le plus contribué ou qui en fait le plus ou a fourni le meilleur travail pour la fraternité entre les nations, pour l’abolition ou la réduction des armées permanentes et pour le maintien et la promotion de conférences sur la paix. »
UNE DISTINCTION A CARACTERE POLITIQUE
Toute la procédure de nomination des candidats à ce Prix est bien établie, seules certaines institutions nationales ou internationales ont la possibilité de présenter des candidats, et les dossiers de candidature sont soumis à un Comité qui choisit l’heureux lauréat. Cependant, l’ensemble de cette procédure, aussi bien que le choix des membres du Comité, sont soumis au seul contrôle du Parlement Norvégien, une institution essentiellement politique, dont la philosophie, les orientations, les intérêts du moment où le long terme qu’il représente, pèsent lourdement dans la décision finale.
On ne peut donc pas affirmer que le Prix Nobel de la Paix est décerné exclusivement sur la base des principes énoncé par Nobel dans son testament. Et , sans avoir à se prévaloir d’une expertise particulière dans le domaine des relations internationale, on constate que l’attribution de ce prix reflète plus la situation géostratégique du moment, tels que déterminée par les puissances mondiales auxquelles la Norvège est alliée, qu’une volonté d’aider à promouvoir la paix dans le monde, volonté neutre et objective, tirant son inspiration de principes acceptables et acceptés par tous, et d’une définition de la paix qui dépasse les contingences de l’équilibre international des forces et des intérêts propres à chaque Nation, y compris, évidemment la Norvège.
Ce Prix apparait comme un simple instrument destinée à avancer, à l’échelle mondiale, les intérêts d’un groupe, même au détriment de l’objectif de renforcement de la paix dans le monde qui est publiquement affiché par le Comité et l’autorité politique auquel il est soumis. Ce Comité se prévaut de nobles sentiments, mais, en fait, il est parti d’une stratégie de pouvoir s’intégrant dans le jeu des rapports de force à l’échelle mondiale. Beaucoup, y compris le petit-fils du fondateur des Prix Nobel, le caractère strictement politique et circonstanciel du choix des lauréats, derrière lequel se dissimulent avec peine les intérêts des puissances qui dominent la scène internationale. On utilise le prestige du prix Nobel de la Paix pour avancer des causes, certes justes dans l’absolu, mais dont la prise en charge n’a rien d’objectif ou de purement pacifique. Et, à examiner la liste de ceux qui ont obtenu ce prix au cours des dernières années, beaucoup pouvaient aussi bien ressortir du Tribunal Pénal International, et être qualifiés de criminels de guerre ou même d’auteurs de crimes contre l’humanité.
AUNG SAN SUU KYI, UNE PACIFISTE AU-DESSUS DE TOUT SOUPÇON ?
Parmi les lauréats les plus glorifiés de ce fameux Prix, Aung San Suu Kyi, la Birmane, de religion bouddhiste, et leader d’un parti-La Ligue Nationale pour la Démocratie- luttant pour l’instauration de la Démocratie pluraliste et libérale dans son pays apparait comme l’exemple parfait de la personnalité répondant, dans son action, aux principes dictés par le fondateur du Prix qui porte son nom.
Le combat de cette lauréate pour la démocratie en Birmanie apparait comme un exemple de modération et de rejet de la violence face à un régime militaire vieux de 50 années et qui préside à l’un de systèmes politiques les plus répressifs du monde, sinon le plus répressif.
L’exemplarité de Suu Kyi a été maintes fois saluée par l’opinion publique internationale, et sa libération par le régime birman en 2010 a fait la une de tous les médias internationaux qui se respectent, et a été saluée comme le début d’une ère nouvelle dans la progression de la démocratie.
Ses déplacements internationaux, depuis le milieu de cette année, apparaissent sur tous les écrans de télévision de la Planète. Elle est reçue par tous les grands de ce monde et, partout où elle se déplace, elle est saluée comme un nouveau prophète d’un monde sans violence.
On la présente comme une sorte de citoyenne du monde qui aurait coupé avec ses racines nationales et qui promouvrait des principes éternels quasiment sans rapport avec l’évolution politique de son pays. Bref, au-delà des calculs de géopolitique qui constituent les ressorts de sa célébrité, on veut faire d’elle la parfaite icône d’un monde idéal d’où aurait disparu la haine entre les peuples.
A lire le discours d’acceptation de son prix qu’elle a prononcé le 16 juin 2012, c’est-à-dire quelques 21 années après qu’elle ait obtenu ce prix, on ne saurait que l’admirer dans le rôle qu’on veut lui faire tenir. Voici un extrait de ce discours où elle renouvelle son engagement pour la paix et l’entente entre tous les peuples :
» La paix absolue dans notre monde est un objectif inatteignable. Mais c’en est un vers lequel nous devons continuer notre voyage ; les yeux fixés vers lui, comme u voyageur fixe ses yeux sur cette étoile qui le conduira au salut. Même si nous n’atteignons pas la paix parfaite ; parce que la paix parfaite n’est pas de ce monde, des entreprises communes pour gagner la paix uniront les individus dans la confiance mutuelle et l’amitié, et aidera à rendre notre humanité plus de sécurité et de tendresse à notre humanité. Des douceurs de l’adversité- et laissez-moi vous dire qu’elles ne sont pas nombreuses -j’ai trouvé que la plus douce, la plus précieuse de toutes est la leçon que j’ai apprise sir la valeur de la tendresse. » Qui oserait désapprouver ces paroles qui dénotent une haute moralité et un humanisme au-dessus de tous soupçons ? Mais, hélas ! Tous ces mots exprimant une compassion sans limites envers tous ceux qui souffrent dans le monde, ne se sont pas traduits par des actions en faveur des plus opprimés parmi les plus opprimés du peuple birman. Et pourtant, ces bons sentiments que l’on ne peut qu’approuver auraient pu trouver un vaste champ d’action dans ce Myanmar que Suu Kiy ambitionne de changer, plus précisément en prenant position claire et nette la contre la politique génocidaire appliquée depuis quelques 30 années par le régime militaire birman contre les Rohingya, une minorité nationale parlant une langue indo-européenne, et dont le territoire se trouve adjacent au Bengladesh.
LES ROHINGYA, LES PLUS OPPRIMES PARMI LES OPPRIMES
Ne Win, l’homme fort du régime militaire birman pendant quelques 26 années (entre 1962 et 1988) mena une politique brutale de birmanisation de la société du pays, politique fondée sur la suppression par la violence des mouvements autonomistes non birmans, l’annihilation culturelle des peuples non birmans, et la répression religieuse pour imposer le Bouddhisme comme seule religion autorisée. De cette violence ont certes souffert toutes les quelques 60 groupes ethniques (135 officiellement, mais comportant des groupes appartenant aux mêmes ethnies, mais portant des noms différents suivant la région où ils sont localisés) habitant sur le territoire birman.
Mais, cette violence visa plus particulièrement la population musulmane, dont la majorité appartient au groupe des Rohingya. En 198é, en vue d’éliminer les Rohingya de la société birmane et de justifier leur liquidation, Ne Win fit passer une loi sur la citoyenneté, par laquelle les cette ethnie fut déchue dans sa totalité de tous ses droits civiques.
Ne Win, se fondant sur cette loi, lança une politique d’annihilation physique de ce groupe ethnique, auquel est avant tout reproché le fait qu’il est de religion musulmane, quoique ce vrai motif ait été caché sous des considérations de caractère pseudo-historiques, suivant lesquelles ces Rohingya seraient en fait des descendants d’émigrés clandestins infiltrés et installés dans le pays au début de la colonisation anglaise(1824).
UNE FALSIFICATION DE L’HISTOIRE REJETEE PAR LES NATIONS UNIES!
Pourtant , même une lecture superficielle de l’Histoire de l’Etat de l’Arakan, où résident ces Rohingya, prouve qu’ils sont les descendants de divers groupes musulmans originaires de la région ou convertis à l’Islam au cours des siècles passés.
Pendant quelques quatre cent années, une dynastie locale a régné, qui a subi l’influence de L’Islam indien, au point où certains de ses rois adoptèrent non seulement des titres musulmans, mais se convertirent à l’Islam, quoique d’origine et de langue birmane. Le Persan et le Bengali étaient les langues de culture de leur Cour. Ils ont même émis des monnaies portant sur l’une de leur face, le texte de la Chahada en Arabe. A noter que ce royaume, qui s’étendait jusqu’au sud du Bengladesh actuel et contrôlait le port de Chittagong jusqu’à 1666, fut conquis de manière brutale en 1784 par le roi d’Ava, voisin, et intégrée à son royaume dont la capitale était Rangoon.
L’existence du Rohingya comme langue parlée est attestée par une étude de linguistique menée par un médecin anglais en 1794 et publiée en 1799 dans les Annales scientifiques du Bengale, alors possession anglaise.
A noter que l’ONU a pris position contre le classement des Rohingya comme apatrides et une commission spéciale de l’ONU, composée de cinq rapporteurs et d’un expert indépendant a demandé dès 2007,-rejetant ainsi la version officielle contestant aux Rohingya leur lien au sol birman et donc démentant les affirmation de Suu et de son parti,- à la junte au pouvoir d’abroger la loi sur la citoyenneté de 1982 pour se conformer aux règles internationales en matière de protection de droits de l’homme. Il est à constater que dans le même temps, le gouvernement vietnamien a décidé d’octroyer la nationalité vietnamienne aux apatrides vivant sur son territoire.
D’année en année le rapport au Congrès américain sur les libertés religieuses, ainsi que le rapport du département d’Etat sur le même sujet, dressent une longue liste des abus, violences, massacres, expulsions, auxquels sont soumis les Rohingya par les autorités birmanes. Le sort des Rohingya est donc bien connu de la communauté internationale, et même de son membre le plus puissant !
UN GENOCIDE EN COURS DEPUIS 30 ANS
Rendus apatrides par la loi birmane, qu’a confirmée la constitution » libérale » de 2010, les Rohingya sont, depuis 1982, soumis à une politique brutale visant à les faire disparaitre de la Birmanie. Cette stratégie adoptée par les autorités birmanes pour de débarrasser d’une ethnie qui ne correspond pas à ce qu’ils considèrent comme étant d’essence birmane, ressemble étrangement à la voie adoptée par les Nazis et les puissances de l’Axe pour liquider les minorités nationales classées alors comme race inférieures.
Les Rohingya ont perdu, du fait du statut d’apatrides qui leur a été imposé, tous droits religieux, civiques, économiques et sociaux, et sont soumis, de manière permanente à des règles qui justifient le qualificatif de génocide et qui auraient depuis longtemps conduit les maitres réels de la Birmanie devant la Cour pénale internationale, n’auraient été les calculs de géostratégie qui tournent autour d’un pays à la fois économiquement vierge et riche en ressources naturelles et minières de toutes natures, et placé aux frontières des grandes puissances internationales de ce siècle à savoir l’Inde et la Chine !
Ainsi, les biens des Rohingya, présentés comme des apatrides de fait et des émigrés clandestins, même par les médias internationaux qui connaissent sana aucun doute le fonds du problème, mais préfèrent le taire, sont confisqués au profit de la population bouddhiste, leurs villages rasés et reconstruits au profit de Birmans bouddhistes. Les Rohingya n’ont ni le droit de travailler, ni de circuler en toute liberté sur le territoire birman, ni, évidemment d’y acquérir de propriétés. Ils sont soumis à une autorisation spéciale pour quitter les villages où ils sont forcés de résider Ils ne peuvent envoyer leurs enfants dans les écoles et lycées publics et leurs écoles sont fermées.
Les Rohingya ne peuvent être recrutés ni dans l’armée birmane, ni dans les administrations, et ceux qui y étaient en fonction lors du passage de la loi les rendant apatrides, ont été licenciés. Ils sont, sur le plan social, au plus bas de l’échelle de la misère, pourtant une des plaies sociales les plus répandues dans le pays.
Même leur croissance démographique est limitée. Ils ne peuvent pas se marier sans autorisation et, pendant plusieurs années, les autorités birmanes ont suspendu la délivrance de ces autorisations de mariage. Si un couple de Rohingya cohabite, sans acte de mariage, il est emprisonné. Les extraits d’acte de naissance ne leurs sont pas délivrés et les enregistrements de nouveaux nés de couples Rohingya sont interdits.
Les mosquées sont systématiquement détruites et remplacées par des temples bouddhistes. Les prières communes du Vendredi sont interdites, de même que les prières à l’occasion des fêtes musulmanes.
De temps à autre, les forces armées birmanes mènent des opérations de massacre collectif de population Rohingya, avec l’aide des moines bouddhistes, qui sont manipulés pour provoquer des incidents menant au massacre des Rohingyas et à la destruction de leurs propriétés et de leurs maisons. Les meurtres de Rohingya et les exécutions sans jugement de membres de leur ethnie sont choses communes. La volonté affichée et clairement exprimée du Premier Ministre birman actuel est de maintenir cette politique de liquidation de la population Rohingya.
UN LAUREAT DU PRIX NOBEL DE LA PAIX, PARTISAN DU GENOCIDE !
Il a maintenant à sa disposition le prestige de la titulaire du prix Nobel de la Paix ; car Suu Kyi , comme son parti, le NLD, appuient de manière non ambiguë non seulement la falsification historiques sur la base de laquelle le régime militaire justifie le maintien du statut d’apatrides imposé aux Rohingya dans leur propre patrie, mais également la version de ce régime militaire, suivant laquelle ce problème est un problème d’émigration clandestine mal contrôlé, et qui doit trouver une solution internationale ; Suu Kyi a qualifié récemment le problème du génocide délibéré des Rohingya, de » tragédie internationale, « effaçant ainsi la responsabilité des autorités birmanes dans ce drame qui se joue, chaque jour, devant nos yeux sur nos écrans de Télé, use de son prestige pour demander à la communauté internationale de soutenir ce génocide. Elle transforme ce problème en une simple conséquence de la mauvaise protection des frontières birmanes contre le flux d’émigrants en provenance du Bengladesh.
Parlant à la conférence internationale du BIT en juin dernier à Genève alors que les émeutes de Juin contre les Rohingya battaient leur plein, Suu Kyi a déclaré que » la peur de l’émigration illégale est au cœur de la violence entre les Arakaniens d’origine (c’est-à-dire les Bouddhistes de langue birmane dans l’Etat Rakhin faisant partie de la région Ouest de la Birmanie et situé sur le golfe du Bengale) et la minorité apatride Rohingya. » Bien sûr que je suis inquiète, et la leçon la plus importante est le besoin de l’Etat de droit. » Elle a dit quand interrogée par les journalistes ; « Nous avons besoin de lois précises sur la nationalité. Je pense qu’un grand problème vient de la crainte de l’émigration illégale. Ella a ajouté » je pense que nous avons besoin de plus de vigilance sans corruption aux frontières. «
Deux questions qui viennent immédiatement à l’esprit, lorsqu’on lit cette étrange déclaration de Suu Kyi : Que viendraient chercher ces émigrants » clandestins » dans un pays où règne une misère quasi générale, et dont au moins 300000 de ses citoyens, fuyant leur pays, sont des émigrés clandestins dans la Thaïlande voisine ? et de quel Etat de droit parle Suu Kyi, puisque le génocide des Rohingya est inscrit dans les lois et la Constitution birmane ?
Voici qu’une femme qui fait de la tendresse le fondement de la paix n’en trouve pas pour demander que la junte mette fin à cette politique de génocide à l’encontre d’une ethnie qui a autant historiquement le droit que d’autre ethnies d’avoir la citoyenneté birmane et de jouir des droits humains de base, que ,pourtant, cette lauréate soutient verbalement à toutes les occasions qui lui sont présentées lorsqu’elle se manifeste sur la scène internationale.
EN CONCLUSION
Le moindre que l’on puisse dire, c’est simplement de reprendre les mots de Christin Wright, responsable d’une organisation d’aide aux refugies » les musulmans Rohingya font face à une campagne de terreur simplement à cause de leur religion et de leur identité ethnique. Leurs malheurs sont passés largement inaperçus dans la communauté internationale. »
Mais, en fait, les Rohingya sont une cible facile pour les islamophobes , birmans, qui se recrutent parmi les fondamentalistes bouddhistes Theravada, eux-mêmes manipulés par un régime militaire qui a exclu cette minorité ethnique de la citoyenneté birmane, et tente de la liquider physiquement en employant les méthodes propres aux politiques génocidaires, qui vont du massacre à l’expulsion massive, en passant par l’interdiction de mener des activités économiques, sans oublier l’interdiction de se marier et d’avoir des enfants, et sans oublier évidemment l’interdiction de pratiquer leur religion et de scolariser leurs enfants, sans compter la destruction de leurs lieux de cultes ; Et comme ce sont des Musulmans, leur drame est soit ignoré, parce que l’Islamophobie est devenue une constante de l’opinion publique dans les pays les plus avancés, phénomène dangereux que l’on ne saurait ignorer, et que le génocide conduit par les autorités birmanes frappe des Musulmans, soit simplement présenté sous une forme qui reprend les thèses du leadership génocidaire birman ;
On aurait pensé que la lauréate birmane du Prix Nobel de la Paix, qui est présentée comme une grande humaniste et une femme luttant sans peur pour la Démocratie et les droits de l’homme dans son pays, aurait pris position pour ses concitoyens musulmans ; mais, au grand dam de sa crédibilité internationale, voici qu’elle adopte la thèse du gouvernement militaire qu’elle est supposée combattre et vouloir faire évoluer ; et , en plus, elle veut mobiliser le monde entier pour appuyer ce génocide causé par des décisions internes à la Birmanie ! Il y a une contradiction destructrice entre ses déclarations de principes nobles d’un côté et, de l’autre, son refus de prendre en charge la défense de la minorité birmane la plus opprimée parmi les opprimés de son pays ; Par là, Suu Kyi menace la crédibilité, déjà entamée, du Prix Nobel de la Paix, qui apparait plus comme un exercice politique visant à faire avancer des causes propres à certains pays puissants, qu’avec le renforcement de la paix dans le monde, et dont les décisions sont, donc, essentiellement dictées par des considérations géostratégiques opportunistes.
29 novembre 2012
Mourad Benachenhou