D’ailleurs, c’est peut-être l’un des plus grands drames de l’histoire des décolonisations modernes : un peuple qui a réussi à chasser la France coloniale en arrive, chez lui, à avoir juste le pouvoir de choisir des maires qui choisissent le carrelage des trottoirs et les lampadaires. Le Régime est aujourd’hui si solide qu’il se passe même de pluralisme de façade : la doctrine de barrage aux islamistes, le pétrole et la collaboration antiterroriste mondiale dispensent largement de la démocratie. Le vote, c’est juste pour prouver au reste du monde qui gouverne que le peuple n’est pas contre son régime.
Donc cette fin de semaine on va voter. Ou non. Mollement.
Demain comme hier. Comme la fin de semaine. Un même jour algérien : immense. A 4 heures du matin, des hommes se lèvent et prennent les armes pour libérer le pays. Ils estiment qu’ils avaient suffisamment dormi. A six heures, le pays est libre. On le fête, on lui donne des chaussures qu’on lui interdit de cirer chez les autres, on lui donne à manger et on lui dit qu’il est très grand, meilleur que les autres Africains et on lui apprend à se reposer d’être né. Pour longtemps. A huit heures on réalise qu’on traîne encore au lit. Alors on s’agite et on demande que faire du temps qui vient : l’aménager comme un temps qui ne passe pas ? Comme un temps sacré ? Un temps religieux ? Un temps perdu ? Vers dix heures on vote : un président puis un député, puis un maire, puis personne de précis. A force de voter, on finit par ne plus rien choisir concrètement. Puis vient midi et on mange. Mieux certes que durant la colonisation, mais avec le regard vide, la main tombante, l’assiette sans goût. Après on dort. Cinq ans, six ans, trois mandats. Qu’importe : le temps ne passe pas. Vers seize heures, on sait que demain on va refaire la même journée. Enfermé dans un temps en rond. Voter, s’asseoir. Voter, s’asseoir. Voter puis s’asseoir. S’asseoir et commenter. Et ainsi de suite.
27 novembre 2012
Kamel Daoud