Dans à une campagne électorale amorphe, sinon franchement terne, Mohamed Seddiki a réussi à créer un peu d’animation. Avec ses coups de gueule, ses protestations, ses menaces récurrentes de se retirer ou de paralyser les préparatifs pour les élections locales du 29 novembre, le président de la fameuse commission de surveillance des élections (CNISEL) a réussi à faire l’évènement à plusieurs reprises, donnant un peu d’intérêt à une consultation qui n’en avait guère.
Cette posture a donné lieu à une curieuse bataille à distance entre M. Seddiki et le ministre de l’intérieur Daho Ould Kablia, contre qui se concentrent les récriminations des membres de la commission de surveillance des élections. Une bataille menée sur tous les fronts, politique, juridique, financier, mais en fin de compte, c’est l’aspect folklorique qui prend le dessus. Comme si M. Seddiki jouait un rôle qui lui va bien, un rôle presque créé pour lui.
M. Seddiki est en effet très crédible dans sa fonction de président de la CNISEL. Sa posture d’homme radical, intransigeant, intraitable, parfois colérique, assure la crédibilité du personnage. Ses dénonciations répétées de l’administration, des irrégularités et des défaillances enregistrées lui assurent la sympathie de la plupart des partis et des candidats, qui le plébiscitent naturellement à la tête de la commission. En attirant l’attention des médias par ses propos acerbes et ses critiques virulentes, il contraint l’administration à réagir, pour tenter de colmater les brèches.
M. Seddiki pêche toutefois sur deux points essentiels. Il a souvent tendance à insister sur ce qui est secondaire, et à dépasser le rôle qui est le sien, en multipliant les interventions sur des sujets très variés. Il présente souvent des revendications matérielles ou financières qui donnent le beau rôle à M. Ould Kablia. Celui-ci s’est permis le luxe de rappeler que les membres de la CNISEL ne pouvaient percevoir une indemnité financière, car la loi ne le prévoit pas. C’est aux partis de prendre en charge les personnes chargées de cette mission, des personnes supposées être des militants, rappelle le ministre de l’intérieur, qui lance une pique en direction de M. Seddiki, l’accusant implicitement d’être d’abord préoccupé par le volet financier de sa mission.
Du reste, le non-paiement des membres des commissions de surveillance des élections constitue la seule avancée réalisée par la nouvelle loi électorale, adoptée du temps de M. Zerhouni. Le vote était devenu auparavant une aubaine pour une multitude d’opportunistes et de désoeuvrés, qui investissaient les bureaux de vote pour gagner un peu d’argent. L’administration y trouvait son compte, car cela garantissait un minimum de présence, à défaut d’une participation des citoyens aux élections. En supprimant cette disposition, le gouvernement a fait un pas, un seul, dans la bonne direction.
D’autre part, en se plaçant au centre de la campagne électorale, M. Seddiki en déplace les enjeux. Au lieu d’être l’arbitre, il est devenu l’acteur et l’enjeu. Par glissements successifs, il a changé de rôle. Plus on parle de lui, moins on parle du vote, de programmes et de partis. Ses batailles concernent la forme, non le fond. Au mieux, il va assurer le bon déroulement technique et le respect des procédures. Mais il n’a aucune influence sur le fond, c’est-à-dire sur le contenu politique de l’élection, qui demeure désespérément creux. M. Seddiki peut assurer un partage équitable des temps de passage des candidats à la télévision, mais il ne peut garantir que leur discours aura un sens, ou un impact quelconque sur la société ou sur l’électeur. Il peut garantir la probité de l’opération de vote sur le plan technique, non la probité des candidats. Il peut être témoin du déroulement de la course, mais il ne peut savoir si un des concurrents était dopé, s’il a éliminé ses adversaires de manière déloyale, s’il a payé pour être tête de liste, ou même s’il ne va pas vendre sa liste : on a vu, lors des précédentes communales, un candidat relativement populaire remporter l’élection et céder le poste de président d’APC à un «ami» quelques semaines après le scrutin. M. Ould Kablia ne peut dès lors que se féliciter de la présence de M. Seddiki. Les deux hommes fonctionnent désormais en ticket. La présence de l’un justifie celle de l’autre. Et même si le ministre de l’Intérieur trouve que M. Seddiki est «brouillon», il lui rend hommage en affirmant qu’il est de bonne foi. Un compliment dont se serait bien passé M. Seddiki.
22 novembre 2012
Abed Charef