Après le terrible accident d’un bus sur les routes de l’Algérie, -encore un- , et le bilan très lourd de 22 morts, le ministre des transports, Amar Tou a déposé sa démission. Ainsi que le directeur des transports de la wilaya et le wali lui-même. Quand ? Jamais.
Cela ne se passe pas ainsi. Les routes algériennes sont les plus meurtrières du monde, mais les responsables du pays sont parmi les plus vieux au monde. Au fait, comme le savent certains, il s’agit du ministre des transports en Egypte, qui a démissionné, lui et le directeur des transports par rails, après la mort de dizaines d’enfants dans un accident, entre un bus et une locomotive. Un vieux sujet de chronique donc, sur le sens de la responsabilité, la dignité, la grandeur de l’acte et le lien entre le pain et la bouche. Chez nous, l’architecture de la légitimité n’est pas celle qui existe désormais en Egypte, par exemple : là-bas, les frères musulmans quêtent la légitimité symbolique, et leur pouvoir leur vient des urnes, donc du peuple, qui les emploie, et ont besoin de gestes forts pour marquer la rupture. Chez nous, un ministre dépend de Bouteflika et du régime qui le paye, avec son pétrole à lui. Il n’a pas à démissionner quand le peuple le juge, mais seulement quand le régime le lui demande. Les « démissionnaires » volontaires, au sein d’un régime, sont une caste mineure, et se comptent sur le bout des doigts et sont regardés et traités et approchés comme des accidents génétiques, des difformités. Souvent ils sont discrets, apeurés, murmurants et vus comme des morts qui ne savent pas encore qu’ils sont morts.
Vieille histoire de la responsabilité et du mépris en Algérie donc. Il fallait cependant la rappeler : pour les nouveau-nés, pour ceux qui lisent le journal pour la première fois, pour ceux qui ont oublié ou pour ceux qui veulent relire. C’est important de rappeler quel est le coefficient de dignité chez les uns et les autres. Il est utile de noter en bas de page de chaque jour qui passe, qu’on ne nous aime pas. Pas chez les autres, mais chez nous, par les nôtres. La vie d’un Algérien a souvent autant de valeur qu’avait celle de l’indigène, aux yeux des colons. Le Régime et nos ministres aiment les foules, les chiffres et les statistiques : vieille maladie URSS, qui fait passer le bilan avant la vie. Le seul qui, a démissionné, en vrac, depuis les premières années,est connu : le peuple d’autrefois. Comme les vieux retraités, ils se contentent aujourd’hui de hurler dans les postes PTT ou de faire le va-et-vient entre la maison, si elle existe, et la mosquée.
20 novembre 2012
Kamel Daoud