Les recours à ces analogies géographiques ou historiques finissent par trahir l’objectif de la recherche qui est d’apporter la clarté et des explications sur telle ou telle question. En plus de trahir l’esprit scientifique, le plus souvent elles tombent sous la manipulation et l’instrumentalisation. Le recours à ces analogies n’est pas sans conséquences. C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender les concepts de «balkanisation», «syndrome macédonien», «irakanisation», «afghanisation», «Arc de crise/d’instabilité», «la région-non-connectée», «Gap», «Pearl Harbor terroriste», «Pearl Harbor cybernétique» un «seconde guerre froide», les «leçons de Munich», etc. et qu’il devient plus clair de comprendre pourquoi nommer ou caractériser un espace n’est jamais neutre.
Cela pour attirer l’attention sur le danger des modèles géographiques obsolètes guidant la compréhension et la politique longtemps après leur date d’échéance. Ce type d’analogie peut, une fois détachée de leur contexte d’origine, devenir de simples instruments de propagandistes qui cherchent à leurrer le public.
D’où l’intérêt de contrôler les représentations géopolitiques et leur application. Au final, il est indispensable d’accorder une attention particulière aux orientations culturelles et fonctionnelles/économiques à des endroits et lieux particuliers. Cela fait partie de la lutte des idées. Et ce combat, l’Algérie est train de le perdre. Il suffit juste de voir comment elle en train de subir les attaques du Maroc alors qu’Alger est nettement en position de force à tous les niveaux. Il ne s’agit pas de savoir si ces attaques sont fausses ou vraies, mais elles un but précis ; faire la politique c’est faire la météo tous les jours. Toujours avoir quelque chose dire car l’information est reprise un peu partout à travers les médias, les journaux et les réseaux sociaux. Cela permet de façonner l’opinion publique au-delà de l’exactitude de l’information. Pour réussir, la diplomatie algérienne doit améliorer sa communication, qui en quelque sorte elle doit faire la météo tous les jours et sortir de la culture de discrétion ; s’ouvrir sur la société. Le combat est mené au sein des think tank dynamiques, à travers une presse active des médias libres soutenus. Cela appelle une démocratisation réelle et soutenir l’émergence d’une véritable élite intellectuelle au lieu d’être un obstacle. Une grande partie des idées de la stratégie de Bush fils et d’Obama ont été développées au cours des années 1990 un groupes appelle les « théoriciens du chaos » et les « mondialisateurs ». Parmi lesquels on trouve Robert Kaplan, Thomas Friedman, Benjamin Barber, Samuel Huntingdon et Peters Ralph, etc.
En effet, le recours à ces métaphores/analogies géographiques n’est pas anodin mais anticipe une certaine politique et participe à façonner une certaine vision-image du monde. En effet, « un élément crucial de la géopolitique est la représentation ». Ce processus que John Agnew, appelle « domestication de l’exotique » décrit la façon dont des dirigeants politiques, des universitaires et des médias recyclent des termes/noms géographiques afin de familiariser les situations inhabituelles dans un vocabulaire élaboré à partir de certaines expériences géopolitiques antérieures apparemment saillantes. Dans le cas des Etats-Unis, en toute évidence, « cette vision du monde se prête parfaitement à une géopolitique dans laquelle » ils « sont largement un acteur bénignes, exogène plutôt qu’un agent actif » dans les régions conflictuelles en question. Evoquant « l’image d’un lieu d’un passé connu’ de guerres intestines et de traumatismes historiques qui peut être projetée ailleurs », ces analogies ont pour effet de « désigner et expliquer putativement des situations bien au-delà du contexte historique d’origine de l’utilisation, mais elles portent avec elles des significations chargées qui exposent la spécificité de leurs origines en termes politiques basés sur des stéréotypes géopolitiques. De cette manière, elles projettent la nature d’un lieu donné sur un endroit et, implicitement, identifient les parties du lieu d’origine comme analogue aux parties dans le lieu d’application » ; les comptes de ce qui s’est passé’ en un seul endroit sont projetés comme des explications putatives sur un autre endroit ». Ce qui, au final, permet de comprendre un endroit en termes familier, mais pas nécessairement de façon empirique et précise ».
Le problème se pose de la même manière quant à l’expression de l’«afghanisation» du Mali. Ce faisant, il y a une projection implicite des conditions/contextes propre à l’Afghanistan. Pour un citoyen lambda qui n’a pas été contact avec la région du Sahel et ignore les spécificités de cette région, tout devient clair une fois vous lui expliquer le Sahel à travers le concept de l’«afghanisation». Il va facilement se faire une idée général mais pas sur des faits liés à la région à travers une projection de la réalité afghane. Mais quoi que l’on dise sur la région du Sahel, elle n’a rien à voir ces régions montagneuses pakistanaises-afghanes. Déjà une première différence. Deux contextes géographiques et historiques entièrement différents. Le phénomène de radicalisations au Sahel est quelque chose de récent. Peut-on dire autant de l’Afghanistan ? Est-il utile se souligner qu’ « avant 2001, aucun groupe de l’Afrique sub-saharien n’a été désigné sur liste des Organisations terroristes étrangères du Département d’Etat.
Al-Qaïda tentait depuis le milieu des années 1990 de nouer des liens avec la GIA, mais sans succès. Il aura fallu attendre l’intervention et occupation américaine de l’Irak pour apporter un nouveau souffle au terrorisme international. Dans cette dynamique, le GSPC a déclaré son allégeance à Ben Laden. Il est intéressant que depuis le 11 Septembre, les attentats terroristes dans la région n’ont pas cessé. Ce qui pose des interrogations sur les réels motivations et utilités de l’engagement américains en Afrique avec la création d’Africom qui était censé de contribuer à la stabilité et sécurité du continent.
Source Yonah Alexander, « Special Update Report : Terrorism in North, West, & Central Africa: From 9/11 to the Arab Spring », the International Center for Terrorism Studies, at the Potomac Institute for Policy Studies, janvier 2012 (et celui de janvier 2011)
Le groupe d’Ansar Dine est nettement différents des Talibans. Au Sahel, au-delà de la fragilité des certains gouvernements, tous ont manifesté une volonté de combattre le terrorisme et la criminalité organisée. Au Sahel, il n’existe pas un Etat comme le Pakistan. Les pays de la région l’Algérie en tête- n’ont pas attendu les Etats-Unis pour combattre le terrorisme. En outre, la pauvreté et la misère n’est pas de la même nature dans les régions en question. En outres, les tensions régionales interétatiques sont beaucoup plus aigues aux Moyen-Orient que dans la région Afrique du Nord/Sahel ; tensions Inde-Pakistan ; Inde-Chine, tensions à propos de l’Iran et les voisins du Golf et Israël. Ce type de tensions et rivalités régionales n’existent au Sahel. En tout cas, elles ne sont pas de la même nature. Toutes ces conditions affectent la lutte contre le terrorisme ; en conséquence le Sahel n’est pas et ne sera jamais l’Afghanistan. Les endroits les plus dangereux sont ailleurs. Au Sahel, le phénomène du djihad est limité mais inquiétant. AQMI constitue une menace sécuritaire que politique étant privé de toute base populaire.
La meilleure façon est de pencher sur l’environnement opérationnel d’AQMI -les facteurs qui influent sur ses opérations- pour appréhender son comportement. En dehors d’événements échappant à son contrôle, le 11 septembre par exemple, la concorde civile’ et d’autres initiatives d’amnistie algérienne constituent le facteur le plus important qui largement façonne environnement dans lequel opère AQMI. Ces facteurs peuvent influer directement sur ses circonscriptions et membres potentiels ou réels. D’autres facteurs de l’environnement opérationnel comme le temps, la densité de population, ou de catastrophes naturelles, l’intervention en Libye, le printemps arabe, influencent probablement le comportement d’AQMI à un degré observables. Une intervention étrangère peut également affecter son environnement opérationnel. Hugh Roberts, directeur du projet Afrique du Nord à l’International Crisis Group, avertit que « la meilleure façon de générer un mouvement djihadiste est d’envoyer des soldats américains là pour parader. Plus la présence de l’armée américaine est visible, plus sera la cible ».
De forts soupçons pèsent sur l’implication d’AQMI dans la contrebande d’armes et trafic de drogue avec des liens possibles avec les trafiquants colombiens sur le chemin vers l’Europe. En effet, l’Afrique a toujours tenu un rôle périphérique dans le commerce transnational des drogues illicites, mais ces dernières années est devenu de plus en plus un lieu de trafic de drogue, notamment de cocaïne. Des estimations récentes suggèrent que, chaque année, entre 46 et 300 tonnes métriques de cocaïne sud-américaine transitent en Afrique de l’Ouest vers l’Europe. Les derniers niveaux saisis de cocaïne sont nettement plus élevés que ceux de la fin des années 1990 et début des années 2000, qui, dans toute l’Afrique a rarement dépassé 1 tonne par an. Toutefois, dans la conduite de leurs activités illégales, les motivations des terroristes et criminels sont différents, mais les crises et les catastrophes humanitaires, le nettoyage ethnique, les guerres et les insurrections sont également devenus des occasions pour le crime organisé et le terrorisme. Les personnes désespérées qui fuient leurs Etats sont une cible facile. En Afrique de l’Ouest par exemple, l’impact de la criminalité est profond car elle dépouille les institutions de l’Etat, menace la sécurité humaine, et accroît les difficultés pour les voyageurs et les opérateurs économiques. Quant à la région du Sahel, certaines faiblesses structurelles -Des Etats fragiles parmi les plus pauvres et instable dans le monde avec des populations vulnérables, des frontières peu surveillée- font qu’AQMI ou toute autre organisation criminelle puisse imposer sa loi par la terreur plus facilement. Cela nous éclaire des raisons de l’implantation de terroristes et de criminels dans la région sub-saharienne mais sans pour autant expliquer les raisons de coopération qui sont assez complexe.
Le terrorisme politique trans-étatique est une stratégie utilisée dans la poursuite d’objectifs ethno-nationaux, religieux ou révolutionnaires. Le crime organisé international, en revanche, cherche un gain matériel par la contrebande d’armes, de drogues, de biens de consommation, le trafic d’être humains, les transferts de fonds illégaux, etc. Il est donc difficile d’imaginer comment ces deux types de « maux mondiaux » font cause commune et dans quelles conditions les terroristes à motivation politique coopèrent avec les cartels et réseaux de criminels internationaux, et vice versa. Pourtant, les groupes criminels liés emploient souvent les mêmes itinéraires : blanchir leur argent en utilisant les mêmes schémas, et mener des activités multiples et parallèles.
De manière concise, ils partagent les caractéristiques communes à savoir 1) Ils ont souvent des opérations sous-terraines cherchant la légitimité et le soutien du public local et international, et le commandement de territoire important ; 2) Ils développent également une organisation clandestine qui contrôle les opérations sous-terraines, ce qui permet de garantir des fonds cachés en général par des moyens illégaux; obtenir de matériel de communication et de renseignement, et imposer une discipline et la sécurité au sein de l’organisation et le territoire qu’ils contrôlent ; 3) Ils ne reconnaissent pas les normes internationales, la primauté du droit, ou l’idée des droits de l’homme, et ils sont prêts à tuer ceux qui s’opposent à eux ; 4) Ils utilisent des tactiques irrégulières prolongées pour prendre le contrôle du territoire et des populations ; 5) Beaucoup sont spécialisés dans l’utilisation des médias, la propagande, et de l’Internet pour diffuser leur récit et idée.
Selon une étude, trois facteurs sont de nature à rendre compte de cette relation. Une condition pour les alliances entre terroristes et le criminel est 1) l’existence de mouvements nationalistes trans-étatiques, ethniques et religieux. Ceux-ci fournissent les paramètres conducteurs à la collaboration entre les terroristes et les criminels basée sur des valeurs partagées et une confiance mutuelle ; 2) la survenance d’un conflit armé, qui fournit des incitations et des possibilités pour l’interdépendance et ; enfin, 3) les contraintes qui facilitent ou entravent les échanges transnationaux complexes de marchandises illégales, les échanges qui impliquent souvent une troisième et une quatrième partie intermédiaires et des forces de sécurité intérieure corruptibles. Au Sahel, on souligne le rôle central que jouent les tribus Touareg et arabes dans la lutte contre Al-Qaïda dans la région. L’influence de cette dernière parmi ces tribus est croissant non pas parce qu’elles étaient terrorisées mais de la coïncidence des intérêts de ces tribus avec les groupes terroristes islamistes. C’est une alliance de circonstances. Si l’on croit le coordinateur de la lutte antiterroriste, Daniel Benjamin, ces trois conditions sont loin d’être réunies dans la région. Dans l’ensemble, la population musulmane dans le Sahel et le Maghreb rejette toujours l’extrémisme d’AQMI. En outre, le groupe ne peut ni menacer sérieusement les gouvernements ou la stabilité régionale ni enfoncer un coin entre les États-Unis et leurs partenaires. De même il ne peut pas non plus enflammer une guerre civile sur une base ethnique comme Al-Qaïda en Irak l’a presque fait.
Tout plan ou cadre de lutte contre le terrorisme doit être renforcée en tant que complément de l’architecture de sécurité dans la région. Réduire le terrorisme et l’insécurité dans le Sahel nécessite un engagement stable, cohérent, à long terme afin de contrer la menace immédiate de terrorisme et de la criminalité, tout en améliorant la sécurité humaine au sens large. Il n’y a pas de solution miracle pour résoudre les problèmes dans le Sahel et la région est confrontée des problèmes complexes et interconnectés qui exigent des solutions intégrées. Ces problèmes existent bien avant l’émergence du terrorisme mondial. En somme, il y a trois aspects sur lesquels il faut se focaliser dans le traitement de la question d’insécurité et d’instabilité au Sahel. D’abord, l’aspect sécuritaire et la lutte contre le terrorisme. Ensuite, les phénomènes liés au terrorisme de la contrebande au trafic de drogue qui menacent la sécurité surtout avec les liens entre ces groupes et les terroristes. Enfin, l’impératif de développement de la région. Dans ce contexte, une intervention militaire au Mali s’apparente à une tentative d’encercler un cadavre. On peut se demander qu’elle l’objectif politique l’intervention. Il n’y a pas car il ne peut pas être atteint. Réponses policières et sécuritaires et la guerre comme l’art de gouverner c’est ce à quoi ressemble l’âge de la Pax Americana ou Pax OTAN. Depuis longtemps les Etats-Unis ont justifie leur engagement au nom de la stabilité régionale/mondiale. Rare ces conflits qui ont été réglés ces deux dernières décennies. Craig Whitlock, «Taking Terror Fight to N. Africa Leads U.S. to Unlikely Alliances», The Washington Post, 28 cctobre 2006. Lyubov Mincheva & Ted Robert Gurr, « Unholy Alliances ? How Trans-state Terrorism and International Crime Make Common Cause, Annual Meeting of the International Studies Association, Panel on Comparative Perspectives on States, Terrorism and Crime, San Diego, 24 mars 2006. Roy Godson & Richard Shultz, Adapting America’s Security Paradigm and Security Agenda», National Strategy Information Center, Washington, D.C, 2010. Daniel Benjamin, «Examining U.S. Counterterrorism Priorities, Strategy Across Africa’s Sahel Region», Testimony Before Subcommittee on African Affairs of the Senate Committee on Foreign Relations, Washington, DC, 17 novembre 2009.
* Attaché à Frontières, Acteurs et Représentations de l’Europe (Université de Strasbourg) et consultants/Experts à la FMES.
15 novembre 2012
Contributions