On a entendu, aussi, un autre prétendant à la magistrature suprême, bardé de diplômes, affirmer, sans rire, qu’ «il avait une recette scientifique pour sortir le pays du sous-développement». Heureusement qu’il n’avait pas été retenu par le Conseil constitutionnel ! D’un autre côté, on a entendu, des «gourous» à barbichette claironner, ça et là, que l’économie internationale (et nationale, bien sûr), surtout ses finances (hé ! hé !) aurait été bien mieux gérée si les principes (sans entrer dans les détails) de l’économie islamique lui avaient été appliqués.
Et, on a vu, il y a de cela à peine quelques années, se tenir, à Chlef, haut lieu de la malédiction sismique, une rencontre internationale… sur «le miracle de la médecine et de la biologie dans le Coran et la Sunna», un thème général se cachant derrière le thème dominant : «L’approche islamique de la médecine, spécificités et applications». Tenez-vous bien ! Il n’était pas organisé par une zaouia mais par l’Association du corps médical privé de la wilaya en collaboration avec l’Université… avec des intervenants étrangers dont des Egyptiens, des Yéménites, des Arabes Saoudiens, des Marocains, des Jordaniens, des Syriens… presque toute la Ligue Arabe. Ils ont présenté les résultats de leurs recherches, certainement des «découvertes» à partir de ce qui a été déjà dit alors que le monde arabe espère, depuis des siècles, avoir des découvertes sur ce qui n’a pas été encore trouvé et, c’est ce que font tous les autres, dans des pays musulmans non-arabes y compris. Il y a peu, des «dentistes» syriens faussaires, dont une femme, sont allées jusqu’à proposer leurs services… sur la place publique (à Bab el Oued) et, on avait signalé une prolifération de praticiens étrangers non diplômés et hors circuit qui pratiquaient la médecine (dentaire) dans les marchés, les cafés et des boutiques à travers le pays. Il est vrai que bien de nos «docteurs» ne sont même pas inscrits aux tableaux des Ordres médicaux respectifs, se réfugiant derrière on ne sait quelle contestation politico-commerçante. Il y eut, le cas de cet entrepreneur crédule de 53 ans, de Koléa, qui était tombé dans le piège des belles paroles «religieuses» d’un «exorciste» («raki»), «cordonnier» de son état qui, à coups de «rokiate», lui avait promis un «trésor» et qui n’a gagné, en fin de compte que le fait d’être dépouillé de son argent et d’être assassiné (cela me rappelle cette cellule de terroristes au sein d’un hôpital avec pour membres des médecins «coachés» par un infirmier).
Décidemment, au royaume des «affairistes», on ne respecte plus rien, même pas le sacré que l’on veut, aussi, exploiter. Aujourd’hui encore, c’est bien pire et le gouvernement aurait été bien inspiré s’il avait introduit dans son récent plan d’action un bon chapitre sur les actions de salubrité publique dans cette direction. Il est vrai qu’en ces temps de grimpée du coût de la vie, des prix des médicaments et des soins, la niche abrite pas mal de poules aux œufs d’or. Une rokia, un harz, une hidjama ou une décoction d’herbes coûte bien moins cher qu’un passage chez le spécialiste (???) du coin qui, bien souvent, il faut le dire, se comporte, lui aussi, bien souvent, hélas, en rapace.
Voilà donc où nous en sommes arrivés, près d’un demi-siècle après l’Indépendance : notre développement se trouve coincé entre les tenants de la pensée scientifique et ceux de la pensée magique. Entre les sciences dures et les sciences occultes. Entre la recherche et le travail scientifique vrai et le «piratage»… bâclé, qui plus est.
Entre le laboratoire et la zaouia. Entre l’effort et la chance. Entre le Pr Nimbus et le Cheikh Nouri (personnage si bien parodié, il y a si longtemps, par Ariouet dans le film «Le taxi clandestin»). Entre l’éprouvette et l’amulette. Cela ne veut aucunement dire que les deux n’ont pas leur utilité, pratique ou psychologique. Cela veut dire tout simplement que les extrêmes restent toujours privilégiés comme solutions, chez nous, au Maghreb central, au pays du juste milieu, un comble ! Et, c’est, peut-être, ce qui fait notre malheur.
Cela nous ramène vers une polémique, née il y a longtemps, de propos présidentiels sur le nécessaire retour, au niveau de notre système d’éducation, vers les sciences exactes et une certaine distance à l’endroit des sciences humaines que l’on avait jusqu’ici trop privilégié.
Les choses ayant été dites au cours d’une inauguration (un Salon du livre, me semble-t-il), avec tout ce que cela charrie comme foule, comme bousculades, comme bruits et comme incompréhensions, le sens a été, je crois, déformé. Alors que, comme d’habitude, le Président de la République a voulu, je crois, par des propos d’allure anodine et légère, publiquement «donner un coup de pied dans la fourmilière» et obliger les uns et les autres à, enfin, aborder une problématique difficile à affronter officiellement, par des mesures règlementaires, tant il est vrai que des habitudes ont été prises et des baronnies construites. Il s’agit moins de rejeter l’une ou l’autre des voies que d’arriver à marier de manière harmonieuse et profitable les deux. La croissance nécessite les sciences exactes. Le développement nécessite les sciences humaines. Le progrès nécessite les deux… qui relèvent, il faut le dire, de la pensée scientifique et non de la pensée magique. Quant à la religion, qui est une pensée sacrée, elle est là, certes comme foi et socle de la personnalité, mais aussi comme source de morale, de valeurs et de principes auxquels chacun d’entre-nous devrait librement et individuellement s’attacher.
Tout dépend donc de la manière dont les deux sont enseignées (et par qui ?), apprises, comprises, assimilées, expliquées, appliquées, transmises. Et, tout dépend de ce qu’il va advenir du bricolage qu’on appelle actuellement «recherche scientifique». On en (re-) parle tellement ces derniers temps!
15 novembre 2012
Belkacem AHCENE DJABALLAH