Que faire ? Puisque le gestionnaire de tâches ne veut rien entendre, il ne reste plus qu’à éteindre et rallumer la machine. C’est l’astuce suprême, le seul remède que des légions d’informaticiens conseillent avec un brin de fatigue désabusée dans la voix. Eteignons et rallumons donc en appuyant sur le même bouton (c’est l’une des étrangetés de l’informatique mais elle n’étonne plus personne). Bon, ça repart et on récupère un bon tiers du texte saisi. On respire, on se calme non sans avoir insulté la mère de Bill Gates et celle de monsieur Sony. Les phrases s’enchaînent vite car, miracle de la mémoire humaine (et non pas celle de l’ordinateur) tout y est encore frais. Surtout ne pas tarder et ne pas oublier d’enregistrer le fichier toutes les dix secondes… Première version terminée. Il ne reste plus qu’à chercher quelques statistiques supplémentaires.
Allons sillonner la grande toile électronique. Tiens, nouvelle alerte. La machine peine et a du mal à répondre. Est-ce une impression mais on dirait qu’elle fait un bruit de ventilateur. Ah, voici qu’un message s’affiche. «Le plug-in suivant ne répond pas : souhaitez-vous interrompre Skype Click to call. Oui-Non ?». Du Chinois Jamais entendu parler de ce plug machin-chose. On clique sur «non». Rien ne se passe. On clique sur «oui». Toujours rien. Les doigts se crispent, les dents se serrent et la pression sanguine augmente. Les bouffées de chaleur sont de plus en plus fréquentes et des envies de meurtre tournoient dans la tête. Le blasphème est au bout des lèvres.
Restons zen. Eteignons encore cette Bon, restons correct : éteignons cette machine. La voici qui repart. Tout va bien, le texte n’a pas disparu. Une petite voix conseille de l’enregistrer sur une clé USB. Bonne idée. Mais, que se passe-t-il encore ? L’ordinateur ne semble pas la reconnaître. Elle est pourtant bien fichée mais le poste de travail ne la détecte pas. Tant pis. Ce n’est pas le moment d’aggraver les choses. Relançons le navigateur et surfons. Dix minutes de travail, et v’la qu’ça recommence ! Nouveau message : «User has explicitely denied access to client». Bon Je ne connais pas ce user ni pourquoi il interdit l’accès à son mystérieux client.
Et ce qui devait arriver arrive. Tel l’éclair, les mains ont fusé, cognant le clavier, manquant de déchirer, oui c’est bien le verbe qu’il faut, l’écran. On s’arrête à temps, avant de commettre cet irréparable qui consisterait à jeter la machine par le balcon pour éprouver une satisfaction des plus sadiques. Plus ou moins calmé, on se résout à appeler un spécialiste (hum ) de la question. Lequel, est-ce une surprise, commence par conseiller d’éteindre et de rallumer la machine. Puis, à distance, le voici qui dicte quelques instructions aussi ésotériques les unes que les autres. On pense alors à ce que dit souvent un éminent linguiste ténésien à propos de l’informatique : de la sorcellerie, de l’improvisation et l’art d’exploiter la crédulité générale.
Bon, finit par grommeler l’autre voix au bout du fil, ça ne peut-être qu’un virus. Ah, bon ? s’écrie-t-on. Pourquoi aujourd’hui et pas hier ? Et puis, l’anti-virus, bien onéreux, n’affirme-t-il pas qu’«aucun problème n’affecte l’état de sécurité de ce PC ?». Ça ne veut rien dire, s’impatiente l’expert qui conseille d’aller faire examiner l’objet. Que faire d’autre, si ce n’est prier. Ou alors tenter quelques exorcismes, sait-on jamais. Chanter la Traviata puis monter sur sa chaise en imitant Johnny Weissmuller au Jardin d’essai. Ou encore, allumer un bâton d’encens et faire passer la fumée sur l’écran et le clavier ? Vous riez, mais que faites-vous d’autres quand on vous conseille d’appuyer sur la touche F9 tout en pressant sur la barre espace ?
A la fin des années 1990, quand l’informatique était aussi infernale qu’elle ne l’est aujourd’hui, une blague a fait un tabac sur l’internet naissant. Prenant la parole à un congrès informatique, Bill Gates, alors patron de Microsoft, se serait moqué de l’industrie automobile pour ses prix élevés et son manque de progrès technologiques malgré un siècle et demi d’existence. Cela contrairement à l’informatique qui, à le croire, ne cesserait jamais de s’améliorer et, qui plus est, à un rythme exponentiel. Cette sortie aurait valu au riche bigleux une cinglante mise au point de la part d’un dirigeant de General Motors. Pour ce dernier, une évolution de l’industrie automobile comparable à celle de l’informatique mènerait aujourd’hui aux situations suivantes : des accidents incompréhensibles deux fois par jour, des pannes inexpliquées obligeant à redémarrer le moteur à chaque fois, des airbags ne se déclenchant qu’après que le conducteur ait répondu de manière positive à la question «êtes-vous sûr ?», «Occasionnellement, stipulait aussi la réponse, la condamnation centralisée de la porte se bloquerait. Vous ne pourriez alors la rouvrir qu’au moyen d’une astuce, comme par exemple, simultanément tirer la poignée de la porte, tourner la clé dans la serrure et, d’une autre main, attraper l’antenne radio.» Voilà qui est bien dit. Pressez F6, reniflez et fermez l’œil gauche pour relancer le programme
Il est trop tôt pour l’affirmer mais la civilisation moderne a peut-être raté le coche dans les années 1990. C’est à cette époque que les informaticiens se sont imposés comme les nouveaux alchimistes détenteurs d’un savoir inaccessible pour le reste de l’humanité. Pour y mettre bon ordre et éviter qu’un plug-in ne plante l’user, son client et je ne sais quelle autre entité fantôme, il aurait fallu en prendre quelques uns au hasard et les fesser, voire au pire, les pendre ou les brûler, en place publique. Cela aurait eu valeur d’exemple. Remarquez, il est toujours temps de le faire
15 novembre 2012
Akram Belkaid: Paris