Dimanche, 28 Octobre 2012 09:50
…PORTRAIT…
Elle est entrée dans la librairie alors que ma séance-dédicace touchait à sa fin. Look moderne, elle aurait été impeccable si son regard n’était pas de feu, si ses narines n’étaient pas dilatées, si sa bouche n’était pas pincée. Cette femme était en colère et je l’ai su du premier regard. Ali Bey, mon ami Ali Bey, la bonté même, n’avait vu qu’une cliente normale, fascinée sans doute par l’auteur. Elle est restée droite comme un garde républicain. Pas un cheveu ne bougeait, rien, une statue dont le regard incendiaire était braqué sur moi. Tout en discutant avec les derniers lecteurs, j’essayais de retrouver cette femme dans les allées de ma mémoire. Peut-être lui-ai-je fais du mal sans le vouloir ? Peut-être l’ai-je assassinée ? Mais voyons, je n’ai assassiné personne.
Peut-être lui ai-je volé son sac ? Mais voyons, je n’ai volé le sac à aucune femme. Mais alors pourquoi la foudre sort-elle de ses yeux ? Ali Bey aurait vu de l’admiration. Moi je voyais une bombe prête à exploser. Le dernier lecteur parti, la voilà qui explose : “Vous les écrivains vous êtes des menteurs ! Ecrivez sur le pouvoir si vous avez (censure), vous êtes des lâches, des salauds” et puis une bordée d’injures régionalistes (censure). Les clients qui la prenaient pour une fan transie ont commencé à détaler l’un après l’autre. Un étranger a même fait le signe de la croix. M’a-t-il pris pour un vampire qui avait sucé le sang de la pauvre femme qui n’avait que ses injures pour me répondre ? Possible. Après les injures, les gros mots, des mots si énormes qu’ils feraient rougir une tenancière de maison close. Quelques âmes charitables ont bien essayé de la ramener à la raison, mais devant ses gesticulations ils ont battu en retraite élégamment. Hé quoi, ce n’était pas le genre à molester une dame fût-elle insolente ! Elle serait tombée entre certaines mains, je vous laisse imaginer lesquelles, elle aurait subi le sort que décrit Sade très bien. Après les injures, les jurons et les gros mots, elle m’interpelle vivement : “Hé toi, pour parler de Biskra tu n’as trouvé qu’un pédophile ? Réponds ! Qu’as-tu à répondre écrivain de mes (censure).” Comme je ne réponds ni aux femmes furieuses – par éducation – ni aux fous – par raison –, je restais de marbre. Elle me lance plus véhémente que jamais : “Tu n’es qu’une poule mouillée”, en me jetant en même temps, avec une synchronisation qu’aurait adoré un maître de ballet, un poulet mouillé à la figure. J’ai évité le poulet de justesse, mais j’ai reçu ma part d’eau.
Il a fallu 4 personnes pour la faire sortir de la librairie. Et le poulet mouillé ? Il a été pris par un client. Il a soupiré : il aurait tant aimé que ce soit un kebch. Quitte à laisser l’auteur sur le carreau…
H. G.
hagrine@gmail.com
9 novembre 2012
Hamid Grine