«Ce qu’il faut à la Révolution, ce ne sont pas des héros, mais des fonctionnaires d’acier.»
Arthur Koestler
Il a une façon bien à lui d’occuper l’espace, toujours en mouvement, mais ce qui le distingue des autres, ce sont ses éclats de rire sonores qui viennent toujours conclure ses discours, où la nuance le dispute à l’ironie. Il promène son gabarit, un physique impressionnant, avec l’air de dire que «malgré le poids des ans, je suis toujours là, n’en déplaise aux envieux», insinue-t-il avec son humour sarcastique.
Son histoire n’est pas lisse. Elle est faite d’épreuves et d’un parcours d’obstacles cabossé auquel il est habitué. «Quand on fonce vers un objectif, on va jusqu’au bout», assène-t-il. De quel bois est fait cet homme à l’abord facile, qui sait plaisanter ? «C’est un pragmatique qui accorde toujours la première place à l’action», confesse un de ses amis, qui ajoute que Hocine a la cuirasse épaisse des battants.
Quand on est allé à sa rencontre, on s’est aperçu que la description qu’on nous en avait fait n’est guère démentie. Homme calme, réservé, il décline sa personnalité à travers une voix qui résonne et une gestuelle constante qui accompagne ses dires.
«On m’appelait le ‘‘radiologue’’, dans les services de santé de l’ALN, à Tunis, bien que je ne fus que simple infirmier. Mais mon expérience m’a beaucoup aidé à interpréter les radios et mes supérieurs en étaient satisfaits», explique-t-il. Tout en tressant des lauriers à «ces médecins engagés qui se sont dépensés sans compter pour sauver des vies, parfois dans des conditions difficiles, en faisant face souvent à des cas désespérés. Nous devons leur tirer chapeau bas pour leur professionnalisme et leur dévouement», suggère notre radiologue, qui nous fait part de cette instruction qui prescrivait d’«emporter les tués et les blessés afin de justifier la légende née dans la population qui faisait des djounoud des immortels».
Curieuse destinée
La nécessité de multiplier les services de santé de l’ALN partout se concrétisa. Ainsi des aides-soignants, des infirmiers, des étudiants en médecine ayant rallié le maquis constituèrent la colonne vertébrale de ces services, qui joueront un rôle non négligeable dans la lutte contre l’oppresseur.Ces éléments, armés d’une foi inébranlable, se sont vite perfectionnés, sur le terrain, dans des conditions extrêmes. Ils parviendront assez vite à extraire des balles ou des éclats, à réduire des fractures, à panser des plaies profondes.
«A l’état-major de l’ALN, nous étions privilégiés car nous exercions dans un cadre confortable. Imaginez les conditions qui prévalaient dans les infirmeries-hôpitaux à proximité des douars où l’évacuation se faisait le plus souvent à dos d’homme et l’intervention chirurgicale, à la lueur des quinquets et pas toujours sous anesthésie.»
Ouslimani Hocine est né le 26 février 1924 à Bouadnane, commune d’Iboudrarène. En 1937, son père, Mohamed, gendarme, est muté à Khouribga au Maroc ; sa famille le rejoint. Hocine y obtiendra le certificat d’études. «On était rentrés en vacances à Bouadnane lorsqu’il y a eu la déclaration de guerre 1939-1945, mon père a été rappelé d’urgence. J’étais l’aîné et comme j’étais un peu perdu, je ne savais plus quoi faire, sinon intégrer l’école complémentaire des pères blancs de Beni Yeni (1939-1941) où j’étais dans la même classe que l’ancien ministre Smaïl Mahroug. Puis je me suis engagé dans la marine française. En novembre 1942, on a assisté au débarquement des alliés. J’étais au port et à force d’aller dans les soutes des bateaux, j’ai attrapé une pleurésie. J’ai fait un séjour à l’hôpital Maillot puis à l’hôpital militaire de Médéa spécialisé en phtisiologie. Je me suis retrouvé avec un groupe de Français et c’est là que j’ai appris la radiologie. Mon premier cliché, je l’ai fait là-bas. Puis j’ai avancé dans le métier en exerçant au service du commandant Gonon. Vu mon dossier médical, j’ai été réformé et envoyé dans mon foyer avec pension complète.
Mais le Dr Gonon tenait à moi, il m’a convoqué dans son cabinet au 35, rue Michelet. J’y ai exercé pendant 11 ans en tant que manipulateur de radiologie et infirmier, jusqu’en 1956, où j’ai rejoint l’hôpital de Tizi Ouzou. A la veille de la grève des 8 jours, je suis muté en stage à l’hôpital Mustapha puis à El Kettar. C’est là où j’ai été arrêté et licencié quelques jours après. Comme j’avais de la famille à Souk-Ahras et à Sakiet Sidi Youcef, en Tunisie, j’ai pris le train en novembre 1957.J’ai débarqué de nuit à Sakiet Sidi Youcef, où je comptais bon nombre de gens de mon village près de Tizi Ouzou.»
Des profs émérites
«Un jour, mon neveu, malade, je devais l’accompagner à Tunis chez le docteur Abdelmola, radiologue. En interprétant la radio, il a su que je m’y connaissais. Il m’a demandé si je voulais exercer ici. J’avais émis le vœu de travailler à Souk El Arba. Ils m’ont affecté à Beja, sous l’autorité du Dr Nekache, mon chef de service et directeur de la santé militaire de l’ALN, basé à Ghardimaou. Il y avait là le Dr Mentouri Bachir, le Dr Smati, le Dr Kadi et le Pr Chaulet. Le Pr Yacoubi et le Pr Taleb dont j’ai le souvenir qu’il a amputé Ataïla, amené en piteux état après un accrochage. Je me souviens aussi que je partageais la chambre du Pr Yacoubi, qui lisait beaucoup le soir jusqu’à une heure tardive, ne se souciant guère de la lumière qui nous gênait. Le matin, il venait rouspéter amicalement parce qu’on ronflait !»
«Chadli Bendjedid, je l’ai rencontré en 1960 à Tunis.C’était le Ramadhan, on s’est baladés toute l’après-midi dans la ville. On a rompu le jeûne dans une gargote. On a pris des cafés et on s’est quittés. On ne s’est plus revus depuis. Même chose pour Zeroual. Le 19 mars 1962, nous l’avons vécu à Tunis, dans une ambiance exceptionnelle, où l’allégresse le disputait à l’émotion. Le premier avion sanitaire est venu de Bizerte. Il y avait Yahia Salhi, Mameri Dris. Moi, je suis venu dans le deuxième avion avec comme chef de mission Belaïd Abdeslam. Arrivés à Alger, on a rejoint Rocher Noir où on a été reçus par Abderrahmane Farès et Chawki Mostefaï. Ordre nous a été donné de retourner chacun dans sa Wilaya. J’ai été affecté à Tizi Ouzou où j’ai été reçu par Mohand Oulhadj, dans l’Akfadou, auquel j’ai remis un courrier confidentiel. Ensuite, Mahiouz m’a affecté à Draâ El Mizan. C’était encore la confusion. A l’hôpital où j’exerçais, il n’y avait pas de radiographie. Les malades venaient de Boghni et des Ouadhias.»
Au service des malades
«J’ai vite fini par rejoindre Alger où j’ai repris mon poste de chef de la radiologie centrale à l’hôpital Mustapha. Il y avait les professeurs Vialet et Chevrau, rejoints par le professeur Bendib, basé alors à Rabat. En 1965 et sur ma demande, j’ai été muté à Beni Messous où j’ai pu apprécier le travail extraordinaire des professeurs Chaulet, Grangaud et bien d’autres spécialistes algériens qui ont pris une part importante dans l’éradication de la tuberculose, une maladie qui laminait des populations entières à l’époque…»
Hocine, toujours aussi entreprenant et dévoué, quittera Beni Messous pour le CPMC où il exercera de 1969 à 1975 en qualité de surveillant général du service de radiologie. Sa pré-retraite, il la passera dans le pavillon dirigé par le Pr Bachir Mentouri qu’il avait connu des années plus tôt, à Beja en Tunisie.
En 1976, Hocine fait valoir ses droits à la retraite. Comme il ne peut rester les bras croisés, il exerce comme conseiller à Sonatrach pendant presque une décennie, où il contribue à l’installation d’un service de radiologie à Saint Michel, tout en ayant un œil sur tous les services de cette spécialité à travers le territoire national.
Hocine tient à rendre un vibrant hommage à ses amis médecins français, progressistes, qui ont épousé la cause algérienne mais qui, hélas, n’ont pas fait le choix de rester après l’indépendance. «Je leur rends souvent visite à Lyon et à Villeurbanne. Nous avons gardé des liens étroits. A eux et aux autres, une pensée affectueuse.» Les autres ? Chaulet, Haddam, Martini, Nekache, Gerolimi, Fanon, Hassani, Mentouri, Benabid, Yacoubi, Boudraâ… sans eux, peut-être que le système de santé n’aurait pas vu le jour au lendemain du recouvrement de l’indépendance.
Aujourd’hui, Hocine, du haut de ses 88 ans, jette un regard très critique sur le système de santé, malade, qui va de mal en pis. Il a été revoir l’ancien bloc du CPMC où il exerçait et il en est revenu malade. «C’est un mouroir, ce n’est plus Marie Curie, c’est Marie kouri, avec tous mes respects envers l’institution», tonne-t-il, les nerfs à fleur de peau. Sans commentaire !
Parcours :
De son village natal de Bouadnane, en Grande-Kabylie, à Tunis où il a exercé dans les rangs de l’ALN en qualité de radiologue, à Alger où il a poursuivi ses missions dans les hôpitaux, Hocine Ouslimani garde la même flamme et le même enthousiasme quand il s’agit de secourir son prochain. Du haut de ses 88 ans, mais bon pied bon œil, Si El Hocine, comme on aime l’appeler dans son entourage, raconte sa vie en mettant en valeur le rôle, parfois ingrat, pendant la lutte armée de ces infirmiers et infirmières, de ces aide-soignants qui ont rejoint le maquis en apportant leur savoir-faire et leur dévouement, qui ont beaucoup compté et soulagé les patients.
«Ils faisaient pratiquement le travail des internes», concède aujourd’hui le vieil homme toujours imprégné des tâches qu’il avait à accomplir (piqûres, lavement, interprétation de radiographies) aux côtés de sommités médicales «dont la modestie est proportionnelle à leur talent» et que Ouslimani salue chaleureusement pour tout ce qu’ils ont fait pour leur pays. Né le 26 février 1924 à Bouadnane, Hocine Ouslimani a eu une carrière médicale bien remplie, méritant largement le titre de radiologue dont on l’a affublé. Il est «retraité actif», comme il aime se qualifier…
Hamid Tahri
© El Watan
7 novembre 2012
2.Pers. révolutionnaires